le 07 mars 2012 - 19h14

Free Mobile, avons‑nous tout compris ?

A

Suite et fin de notre saga feuilletonnante « freetesque » (cliquez ici pour accéder à l'épisode 1, et pour l'épisode 2). Au milieu d'une crise économique où le pouvoir d'achat du consommateur diminue chaque jour davantage, il était logique de prédire le succès d'un opérateur qui rétablirait à son juste prix le coût de l'abonnement mobile. Mais un tel engouement… même Free ne l'avait pas prévu !

Au lendemain du 10 janvier 2012, le réveil des PDG des trois opérateurs concurrents fut douloureux. Non, ce n'était pas un mauvais rêve, Free proposait vraiment un abonnement à 2 € et même à 0 euro ! Dilemme infernal : comment faire moins cher que gratuit ? Ce matin du 11 janvier, les trois dirigeants devaient donc choisir entre plusieurs options : d'abord avaler une aspirine, ensuite choisir entre un sabre japonais qui permettrait une honorable sortie hara‑kirienne, ou bien une guitare pour apprendre la chanson de Jacques Brel Ne me quitte pas, afin de la déclamer sous les fenêtres des clients. Ou encore orchestrer une campagne de dénigrement de Free (dénonciation quasi permanente de pseudo « freelouteries ») et mettre en avant ce que, eux, proposent et pas Free : un réseau de boutiques censé apporter un service légitimant une supériorité des tarifs.

Dans la rue, ce même 11 janvier au matin, le cauchemar continue, tous les journaux ou presque font leur Une sur Free :  « L'onde de choc Free » (Le Progrès), « Free dynamite le marché » (La Dépêche), « La téléphonie en ébullition » (Le Télégramme).
• Europe 1 diffuse un reportage sur le Free Center de Rouen, littéralement pris d'assaut. En face, la boutique Orange est presque vide et les rares clients sont là pour résilier.
• En début d'après‑midi, Xavier Niel annonce l'ouverture de 100 nouveaux Free Center d'ici deux ans.
• On annonce que le buzz Free Mobile serait l'équivalent d'une campagne publicitaire d'un montant de 8 millions d'euros. La comparaison avec Apple et Steve Jobs s'impose, sauf que chez Free, les économies réalisées profitent aux clients, alors que chez Apple, elles profitent à la marque à la pomme, qui bat tous les records de profitabilité. La gestion de Free est en fait exemplaire sur de très nombreux postes : peu de boutiques, communication avec la clientèle par Internet et non par lettres, investissements publicitaires et salaires des dirigeants raisonnables, importance du bouche à oreille…
• Virgin Mobile est le premier opérateur à réagir dès le premier jour en proposant un abonnement à 19,99 euros.
12 janvier : sur la toile, les Freenautes recommencent à se lâcher… Le site jemecassechezfree.com réunit les anciens « pigeons » et compte déjà plus de 30 000 volatiles.
• Bouygues Télécom réagit en début d'après‑midi sur Facebook, affirmant « ne pas être des bandits de grand chemin, des menteurs de longue date », alors que SFR baisse ses prix à son tour.
• En soirée, les premières demandes de portabilité arrivent chez les concurrents.
14 janvier : envoi des premières cartes Sim Free Mobile. Une téléconseillère SFR déclare sur NRJ qu'elle va s'abonner chez Free Mobile.
15 janvier : le magazine Challenges annonce sur son site que Free Mobile va faire économiser 7 milliards d'euros aux consommateurs français !
16 janvier : la Poste Mobile annonce qu'elle ne baissera pas ses tarifs.
17 janvier : premier couac de Free Mobile : certains abonnés n'ont pas encore reçu leur carte Sim, alors que leur portabilité est effective. Résultat, ils n'ont plus de ligne. On commence aussi à parler de retards de portabilité, dus à l'explosion des demandes. Le GIE des opérateurs de téléphonie (organisme dédié à la portabilité) est passé de 10 000 ou 15 000 demandes/jour à 50 000 !
• Mise en ligne du premier jeu vidéo consacré à Free Mobile : Libérons les pigeons.
17 janvier : Le Parisien et La Tribune révèlent que Bouygues Télécom aurait déjà perdu 300 000 clients. On parle d'un premier million d'abonnés pour Free Mobile.
19 janvier : le quotidien Les Échos compare Free Mobile aux compagnies aériennes low cost, avec un modèle repensé et une organisation plus efficace et moins lourde. Des analystes économiques (Oddo) ont calculé que le coût marketing par abonné et par an est quatre fois moins élevé chez Free que chez Orange ou Bouygues Télécom.
20 janvier : le site du magazine Challenges regroupe les meilleures parodies Free Mobile du Web. On y retrouve bien sûr Hitler vitupérant contre Free, mais aussi les Inconnus, La planète des singes, un faux Alain Delon et les mamies du Cantal (//www.challenges.fr/high-tech/20120119.CHA9414/free-decouvrez-les-meilleures-parodies-de-films-autour-du-lancement-de-l-offre-de-telephonie-mobile.html:cliquez ici).
22 janvier : dans le Journal du Dimanche, Stéphane Richard (Orange) se lamente sur le fait que « Free a provoqué dans nos boutiques une vague de comportements agressifs et d'incivilités ».
24 janvier : Xavier Niel passe en audition devant la Commission des affaires économiques de l'Assemblée Nationale. Corinne Erhel, députée PS des Côtes d'Armor, salue « l'excellente campagne de communication de Xavier Niel et les effets bénéfiques pour les utilisateurs ».
Face aux attaques de ses concurrents l'accusant de détruire des emplois, Niel démontre, chiffres à l'appui, qu'il n'en est rien et que, proportionnellement à leur chiffre d'affaires respectif, il y a plus d'employés chez Free que chez Bouygues Télécom. Il indique également que l'emploi a progressé chez Bouygues Télécom depuis la création de Free Mobile, contrairement aux affirmations de Martin Bouygues. Enfin, il dénonce le terme « low cost » appliqué à Free, expliquant les tarifs bas par une meilleure gestion et « des coûts raisonnables ». D'après lui, le salaire des dirigeants chez Free est 10 à 15 fois inférieur que chez les autres opérateurs.
26 janvier : Le Canard Enchaîné dévoile les attaques des autres opérateurs : « Tous les moyens sont bons pour discréditer le petit nouveau (…). La guerre ne fait que commencer et c'est le consommateur qui désignera le gagnant de cette peu aimable compétition. (…) Le marché de la téléphonie mobile en France représente plus de 20 milliards d'euros. De quoi financer quelques contre‑attaques d'envergure ».
• La veille, Génération NT révélait qu'un cheval de Troie de type Carberp (attaque informatique pour obtenir vos coordonnées bancaires) visait les abonnés Freebox.
27 janvier : Canal+ (proche de SFR) fait, par la voix de Vincent Glad dans le Grand Journal, le bilan des couacs de Free Mobile : « Xavier Niel n'est pas du tout Steve Jobs, bien au contraire, et Free n'est pas Apple (…). C'est juste une marque low cost qui vend des produits low cost. C'est donc pas du haut de gamme ».
Propos démentis la veille par le journal Les Échos qui expliquait, au contraire, que la box de Free était un concentré de hautes technologies (lecteur Blu-Ray, console de jeu, magnétoscope numérique…) et qu'elle coûtait beaucoup plus cher à fabriquer.
• Le même soir, Canal+ déclarait que, depuis le lancement de Free Mobile, les résiliations auraient augmenté de 250% chez les opérateurs historiques.
30 janvier : notre coup de cœur : le clip Ils s'introduisent chez Orange et déclarent leur amour pour Free ! arrive sur YouTube (//www.youtube.com/watch?v=-ZGK4wQupAk&feature=youtube_gdata_player:cliquez ici). On y voit Théodore Bonnet, Nathan Zanagar et une bande d'amis débouler dans une boutique Orange pour faire leurs adieux aux vendeurs médusés. Et en plus ils chantent bien !
31 janvier : Éric Besson, ministre de l'Industrie, demande au GEI d'augmenter la capacité de portabilité de 45 000 à 80 000 numéros par jour.
3 février : Le journal Les Échos révèle que c'est SFR qui a envoyé des huissiers faire des mesures sur le réseau de Free Mobile (3 000 relevés dans cinq villes différentes), avant d'envoyer les résultats à l'Arcep, qui annonce alors qu'elle va procéder à de nouvelles mesures.
7 février : contrairement à ce qu'il avait déclaré le 16 janvier, Marc Zemmour, président de La Poste Mobile, dévoile trois nouveaux forfaits destinés à contrer Free.
• Le lendemain, c'est NRJ Mobile qui baisse le prix de son forfait illimité.
8 février : coup de tonnerre. Une étude du cabinet Roland Berger, reprise par Challenges, estime que Free pourrait faire perdre 8 milliard d'euros à ses concurrents d'ici deux ans ! Free aurait déjà fidéliser plus d'1 million de clients (dont le député Patrick Devedjian et le ministre Éric Besson) et pourrait atteindre 3 à 5 millions d'ici la fin de l'année. Nicolas Teisseyre, membre du directoire de Roland Berger, parle même de 10 millions d'abonnés au final ! Le chiffre d'affaires de Free Mobile pourrait atteindre 2 milliard en deux ans.
8 février : le journal Le Monde révèle, sans les nommer, les confidences de certains opérateurs : « Attaquer Free, c'est le moyen de salir l'image d'un concurrent qui affole ».
9 février : free.fr offre 80 places pour le film Le territoire des loups. Un titre parfait pour décrire le marché du mobile ?
14 février : le magazine GQ déclare Xavier Niel « homme le plus influent de l'année ».
28 février : le président de l'Arcep, Jean-Ludovic Silicani, annonce devant les députés que la deuxième mesure du réseau Free Mobile montre bien que Free respecte ses engagements et couvre plus de 27% de la population. Il précise aussi que le nombre d'antennes allumées a nettement augmenté : « Il est absurde et surréaliste de penser que Free va donner de l'argent à un autre opérateur (pour utiliser son réseau) plutôt que de construire le sien ».
29 février : l'action Iliad franchit pour la première fois la barre des 100 euros.
6 mars : les problèmes de portabilité semblent se résoudre. Le délai est ramené à moins d'une semaine, alors qu'il était d'un mois en janvier.
10 mars 2012 : Free Mobile a été lancé il y a deux mois et tout le monde est content ou presque !

Étrange coïncidence, le 10 mars 1876, il y a exactement 136 ans, Alexander Graham Bell (1847-1922), considéré comme l'inventeur du téléphone, réussit à transmettre, avec son système de transmission de la voix, la phrase suivante que son assistant, Thomas Watson, situé dans une pièce voisine, entend distinctement : « Monsieur Watson, pourriez-vous venir, j'ai besoin de vous voir ? ». (Et non : « Élémentaire, mon cher Watson ! »). La photo de gauche ci-dessous montre Alexander Bell en pleine action et prouve, de façon irréfutable, qu'il avait aussi inventé le téléphone portable (à peine plus gros qu'un Galaxy Note). Qu'attendent donc ses héritiers pour faire un procès à Apple ? La vie d'Alexander Bell a d'ailleurs fait l'objet d'un film avec Don Ameche et Henry Fonda : The Story of Alexander Graham Bell, 1939.

Et voilà, notre beau feuilleton « Indiana Free et les aventuriers du mobile perdu » est-il fini ? Peut-être pas, car en deux mois, Free n'a pas fait que révolutionner le monde de la téléphonie mobile, il a fait beaucoup plus. Écoutez attentivement les paroles de la chanson On vous quitte pour Free (//www.youtube.com/watch?v=-ZGK4wQupAk&feature=youtube_gdata_player:cliquez ici). Lorsque Théodore Bonnet et Nathan Zanagar (à qui nous dédions cet article) proclament : «J'vais enfin payer mon loyer, ma facture d'électricité, j'vais m'acheter à manger… », ils ne fredonnent pas une chansonnette mièvre, mais imposent un texte réaliste, presque révolutionnaire… Est-il normal que les jeunes -pour qui communiquer est si important- soient obligés de sauter leurs repas pour payer les factures des portables ? Non…
Il s'est passé avec Free Mobile ce que quelqu'un a dit des révolutions : elles semblent inconcevables la veille et évidentes le lendemain. En montrant que c'est possible -yes, we can !-, le modèle Free va-t-il se propager à d'autres secteurs ? Xavier Niel est-il seulement un brillant homme d'affaires ou bien aussi un nouveau Robin des Bois ?
L'aventure ne fait peut-être que commencer… The rocket is on the launchpad !

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