par Laurence Mijoin
03 mai 2012 - 18h18

Tous au Larzac

année
2011
Réalisateur
AvecMarizette Tarlier, Christiane Burguière, Pierre Burguière, José Bové, Léon Maille, Christian Roqueirol
éditeur
genre
notes
critique
8
10
label
A

C'est l'histoire d'une contrée minérale et dépouillée, une terre qui, dans les années 70, paraissait inexplorée et lointaine pour Paris et ses notables. Ce n'était pas un fossé, mais un gouffre qui séparait la capitale française ‑ou même les grandes villes de province‑ du Larzac, haut plateau du sud du Massif central évoquant les grandes plaines de l'Amérique profonde. Austère et majestueux, mais c'était un autre monde.

C'est pourtant là, dans cet espace quasiment désert, que s'est jouée l'une des luttes les plus emblématiques du XXe siècle en France. Étrange paradoxe. Peu peuplé, le Larzac a résisté avec toute sa force, toutes ses forces vives, s'élevant contre la décision de l'État d'agrandir, dès 1971, le camp militaire. Ce qui signifiait exproprier des paysans, éleveurs de brebis à mille lieues des grands exploitants beaucerons. Mobilisés face à l'ennemi, les paysans se font la promesse de ne jamais céder leurs terres : pendant dix ans, jusqu'à l'élection de Mitterrand, ils mèneront une résistance non‑violente et redoubleront d'intelligence pour protéger leur patrimoine, rejoints par bon nombre de militants de gauche. Ces paysans, catholiques pratiquants et votant à droite, s'uniront aux Mao, aux hippies, aux étudiants de Mai 68 venus les soutenir, pendant ces dix années de combat. Et sortiront profondément changés de ces rencontres extraordinaires.

C'est cette histoire unique, à la fois de résistance et de métamorphose, qu'a restituée le documentariste Christian Rouaud, sensibilisé à cette cause depuis ses années d'étudiant à la Sorbonne (il y a vécu Mai 68) et qui avait déjà traité de la lutte ouvrière à Besançon au début des années 70 dans le documentaire Les LIP, l'imagination au pouvoir.

Cinéphile, cet ancien professeur ne s'est pas contenté d'assembler les propos de ses protagonistes de manière linéaire. Ces témoignages, il les agence, les imbrique, respectant une trame « scénaristique » mise en place après une première phase colossale de collecte d'interviews, réalisée deux ans avant le tournage. Dramatisation, recherche de l'émotion originelle, caractérisation des personnages, rebondissements (notamment via l'utilisation d'images d'archives), suspense et happy end : on est bel et bien au cinéma, dans la fiction du réel. L'effet est saisissant : ils ont beau être plusieurs, les paysans racontent la même histoire, tour à tour, comme si une seule et même voix s'élevait de cet ensemble.

Et, pour renforcer la dramaturgie du récit et la cinégénie des lieux, Rouaud reprend les archétypes du western et les applique à son film, en digne amateur du genre. Cavalier solitaire, vautours planant dans les airs (exprimant à la fois la menace sourde et le désir de liberté, et donc d'affranchissement), paysages évoquant ceux de l'Americana, révolte des opprimés face aux puissants… À la recherche du beau, dans la nature et dans l'homme, le réalisateur soigne ses plans, met en scène discrètement, sublime par petites touches le réel sans le bouleverser.

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dvd
cover
Tous publics
Prix : 19,99 €
disponibilité
15/05/2012
image
1.85
SD 576i (Mpeg2)
16/9 compatible 4/3
bande-son
Français Dolby Digital 5.1
Français Dolby Digital 2.0
sous-titres
Français pour sourds et malentendants
8
10
image
Filmé avec une attention toute particulière pour l’image, multipliant les plans larges de paysages, mettant en valeur les textures et les matières (les visages des héros du film aussi bien que les pierres et arbres du Larzac), le documentaire avait besoin d’une image solide capable d’honorer toutes ces intentions. C’est le cas, avec un master profitant d’une jolie définition, d’une compression efficace apportant beaucoup de stabilité aux arrière-plans et de couleurs vives et agréables à l’œil. Une belle réussite seulement entachée par quelques passages aux contrastes un petit peu mollassons, mais ils sont fort rares.
7
10
son
La piste Dolby Digital 5.1 se concentre sur la façade avant, envoyant assez peu d’informations sonores sur les surrounds (un minimum de reverb sur les passages musicaux). Une petite déception, mais l’utilité de ce mixage multicanal est ailleurs, dans sa mise en avant des dialogues via l’enceinte centrale, qui met parfaitement en valeur les propos des intervenants. L’encodage 2.0 n’est pas en reste et réussit à faire cohabiter harmonieusement paroles, musique et ambiances.
10
10
bonus
- Après la lutte (entretien avec les protagonistes) (65')
- Entretien avec Christian Rouaud (45')
- Scènes coupées (40')
- Making of (28')
- Affiches commentées (18')
- Scènes commentées (7')
- Préface (texte de Bertrand Tavernier lu par Léo Douek) (3')
- Bande-annonce
Voilà des suppléments à profusion dans cette édition DVD (préfacée par une séquence accompagnée d'un beau texte de Bertrand Tavernier, lu par Léo Douek), qui ne délaisse aucun aspect de la lutte et propose d'approfondir le sujet via des bonus très complets et toujours passionnants. Le plus copieux, « Après la lutte (entretien avec les protagonistes) », explore plus en profondeur et nuance les sujets abordés dans le doc ainsi que d'autres points annexes. Les personnages du film reviennent tour à tour sur certains enjeux, comme par exemple la période qui a suivi l'élection de Mitterrand. On y apprend ainsi le rôle décisif de Pierre Mauroy, Premier ministre, dans l'annulation du projet de camp militaire. On y découvre également le retour de solidarité des paysans du Larzac, militants actifs pour le soutien de diverses causes, comme celle des Polynésiens lors des essais nucléaires commandés par Chirac, ou encore du mouvement kanak. Les acteurs de la lutte vantent aussi les mérites de la gestion collective du terrain du camp du Larzac par la SCTL (Société civile des terres du Larzac), permettant aux paysans d'exploiter les terres jusqu'à la fin de leur activité, sans avoir à acheter leur parcelle. José Bové aborde quant à lui les circonstances de l'affaire du Mc Donald's de Millau ou encore la lutte contre l'exploitation du gaz de schiste du Larzac. L'entretien avec Christian Rouaud, très complet, permet d'en savoir plus sur les motivations, le parcours et les inclinations du réalisateur, qui revient sur sa jeunesse, son expérience d'étudiant durant Mai 68, son ancien métier de professeur, ses goûts de cinéphile ou encore sur le travail de titan fourni lors de la collecte d'interviews pour la préparation du doc. Celui-ci commente d'ailleurs trois séquences dans le bonus « Scènes commentées », décryptant ses choix de mise en scène pour les scènes de la bergerie (le but était de montrer la magnificence des lieux), de l'envol des oiseaux et celle des bâtons. Les plus gourmands poursuivront avec les scènes coupés, en abondance, qui abordent certains points plus anecdotiques de la lutte, mais permettent néanmoins de rendre compte des conditions de vie des paysans, de leur quotidien (difficulté de l'accès à l'eau potable), de leur opiniâtreté (les brebis dans le tribunal !) et de leur courage (le renvoi de leur livret militaire en signe de protestation). Les affiches commentées par les paysans permettent d'en apprendre plus sur certains événements clefs du combat du Larzac, comme celle intitulée « Le Larzac est emprisonné », commentée par Marizette Tarlier, qui a elle-même vécu cet épisode et le raconte dans le détail, de manière très touchante. Enfin, un making of « atmosphérique » de près d'une demi-heure retranscrit l'ambiance paisible et harmonieuse du tournage. Le seul bonus sensitif de l'interactivité, moins informatif mais qui a su capter quelques jolis instants « entre les prises ».
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