par Jean-Baptiste Thoret
25 février 2013 - 17h40

Killer Joe

année
2011
Réalisateur
InterprètesMatthew McConaughey, Emile Hirsch, Juno Temple, Gina Gershon
éditeur
genre
notes
critique
8
10
label
A

Dès la séquence d’ouverture, tout est dit, ou presque : Chris (Emile Hirsh, Into the Wild), un jeune dealer de Dallas, débarque dans la roulotte de son père sous une pluie battante, tambourine à sa porte miteuse, tandis qu’un chien, baromètre sur pattes de sa baraka, lui aboie déjà dessus.

Chris est un porteur de catastrophes comme d’autres sont des porte‑serviette. Le plan génialement foireux que vient proposer Chris à son benêt de padre ‑tuer la mère afin d’empocher son assurance vie‑ se terminera comme il a commencé : dans le chaos, l’amateurisme le plus total et sous le signe de cette malchance héréditaire réservée aux seuls losers.

Faut‑il le préciser, entre un père constamment ahuri, une belle‑mère vorace aux allures de femme fatales de diners (Gina Gershon, toujours abonnée aux rôles de bitches émouvantes) et une sœur, Dottie, qui se réfugie dans sa chambre en essayant de croire que le monde ressemble à sa boule de neige kitsch, la famille de Chris cumule toutes les tares de l’Amérique White Trash. Ou plutôt, elle incarne une famille recomposée modèle dont toutes les pulsions (inceste, meurtre, avarice, etc.) auraient été mises à nu.

Certains ont de la chance, donc, et d’autres pas. Et surtout tuer est un métier, leçon fondamentale que Friedkin a retenu de Hitchcock, mais pas Chris, qui décide de louer les services d’un professionnel, un certain Killer Joe (Matthew McConaughey, très bon), flic maniaque le jour et tueur à gages la nuit, afin d’accomplir la sale besogne.

Au fond, tout l’intérêt du dernier film de William Friedkin, ex‑wonderboy du Nouvel Hollywood toujours à flot dont toute l'œuvre, de L’exorciste à Police fédérale Los Angeles, du Sang du sorcier à Bug, est travaillée par une même fascination pour le Mal, pour sa capacité à s’emparer des individus, à les séduire, à jouer avec leur (notre) part sombre et maudite, est de répondre à une question.



Une question donc, que ce thriller poisseux qui dialogue de loin avec le No Country for Old Men des frères Coen ne cesse de nous poser. À quel moment le Mal a‑t‑il pénétré l’antre familial ? Lorsque Killer Joe franchit le seuil du foyer ? Lorsque Chris accepte, en guise de caution, que Joe fasse mumuse avec sa sœur baby doll ? Ou bien avant, lorsque l’idée même de tuer sa mère a effleuré l’esprit de ce petit délinquant criblé de dettes ?

L’incertitude morale est inscrite dans le code génétique du cinéma de Friedkin, qui ne croit ni à l’innocence absolue ni à la culpabilité certaine. Ses films, et Killer Joe en offre un exemple éclatant, constituent toujours des expériences‑limites, pour les personnages bien sûr (souvenez‑vous de Pacino dans Cruising), mais aussi pour le spectateur qui, en bout de course, n’y trouve sa juste place qu’à condition d’être au clair avec sa propre conception morale du monde, ce qui, dans la langue du réalisateur de French Connection, signifie son ambiguïté.

Adapté de la pièce éponyme de Tracy Letts (qui a également signé le scénario), Killer Joe appartient aussi à une veine plus théâtrale de son cinéma. En 1968, il adaptait déjà la pièce de Pinter, The Birthday Party, et Bug, son précédent film, empruntait la forme du huis clos, qui dit certes une modestie un peu contrainte (Killer Joe n'a coûté que 10 millions de dollars, Friedkin n’ayant plus la cote suffisante à Hollywood pour tourner des films plus amples), mais aussi une vérité de son cinéma, qui serait celui d’une étude de caractère serrée, à la loupe presque, des ravages produits par le Mal au sein d’une famille qui, au fond, dysfonctionne ordinairement.

Sachez enfin que, pour au moins une scène qui changera ‑à jamais‑ votre vision des manchons de poulet, Killer Joe a dû en découdre avec la censure américaine (le film est sorti là‑bas dans une version légèrement amputée). Il sort chez nous en version intégrale.

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test
dvd
cover
- de 12 ans
Prix : 19,99 €
disponibilité
06/02/2013
image
1.85
HD 1 080p (AVC)
16/9 natif
bande-son
Français Dolby Digital 5.1
Français Dolby Digital 2.0
sous-titres
Français
8
10
image

On ne passe pas loin de la perfection, que le Blu-Ray doit atteindre sans problème. En tout cas, ce DVD présente déjà de belles qualités malgré les choix esthétiques tranchés du cinéaste. Des contrastes puissants et une précision de tous les instants, que ce soit sous la pluie battante (sale temps en continu pile au-dessus du mobile home de cette famille de White Trash), dans la pénombre ou lors des extérieurs crus et réalistes. Assumé et très bien fait.

8
10
son

VO ou VF, les mixages sont identiques. Ce n'est pas sur les effets que votre choix se fera, mais sur l'interprétation des comédiens originaux du film, à qui nous donnerions tous un Oscar. Allez, tarif groupé, hop (cela dit, le doublage français est très plaisant). Et si la stéréo est déjà remarquable dans son genre, le découpage 5.1 est d'une redoutable précision et d'une présence accrue. Beaucoup de liant entre les scènes, une limpidité de chaque son et un caisson actif tout au long du film, que demander de plus ?

10
10
bonus
- Portrait d'une Amérique peu aimable (34')
- Master Class de William Friedkin à Deauville en septembre 2012 (89')

Une excellente interview de Friedkin par Samuel Blumenfield sur Killer Joe en particulier, et une leçon de cinéma du maître lors du dernier Festival de Deauville. Impossible de se passer de ces deux suppléments, qui se complètent totalement et montrent un William Friedkin volubile.

Du petit-lait pour cinéphiles. Les anecdotes pleuvent (notamment sur la censure, où comment Friedkin a tourné 40 minutes de scènes gay supplémentaires pour afin de satisfaire les ciseaux des censeurs et détourner leur regard de l'essentiel), tout comme ses impressions sur les comédiens du film (il assimile plusieurs fois Emile Hirsch, « son fils spirituel » à James Dean, et ne tarit pas d'éloge au sujet de Matthew McConaughey), ou encore sa méthodologie de tournage (une prise -hors problèmes techniques- pour conserver toute la spontanéité du jeu) et ses astuces pour surprendre ses comédiens (quoi de mieux qu'un coup de feu ?). Excellent du bout en bout.

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