Vincere
On pensait déjà tout savoir de Mussolini, la dictature inique qu’il fit régner sur l’Italie des années 1930, sa moustache grotesque, ses allures de tribun qui aurait fait passer le Dictateur de Chaplin pour un sinistre personnage, son alliance avec les Nazis, etc.
Mais Marco Bellochio, cinéaste engagé de 70 ans et auteur d’une œuvre déjà monstre (depuis Les poings dans les poches en 1965 à Buongiorno Notte en passant Le Diable au corps en 1986) plonge sa caméra dans la vie secrète de l’homme, dans les coursives opaques et peu reluisantes d’une jeunesse au cours de laquelle Benito, alors fervent militant socialiste, rencontre une jeune femme, Ida Dalser (Giovanna Mezzgiorno, formidable), lui fait un fils et l’abandonne au moment où il accède au pouvoir. Ida découvre alors que Benito était déjà marié et père de quatre enfants. Mise à l’écart du palais présidentiel, puis jetée dans un hôpital psychiatrique, Ida veut d’abord croire à une mise à l’épreuve de son amour et tente de prouver à une hiérarchie sourde et aveugle qu’elle est l’autre femme du Duce.
Présenté à Cannes la même année que Le ruban blanc dont il est la version réussie, Vincere est un modèle d’intelligence et de subtilité. Bellochio évite d’abord le piège du regard rétrospectif qui aurait consisté à charger le jeune Mussolini, chien fou prométhéen qui défie Dieu et dope le peuple de son énergie hors normes, des attributs caricaturaux de ce qu’il deviendra plus tard, soit ce Duce avide de pouvoir et prêt à tous les compromis. Bellochio envisage Mussolini, mais du point de vue de cette maîtresse cachée, passionnée et fiévreuse, obstinée et courageuse, dont l’unique faute est de ne pas comprendre que son ennemi n’est pas un dictateur qu’elle a aimé follement, mais un système fasciste tout entier. Élégant, poétique, audacieux (voir le mélange d’images d’archives et de fictions reconstituées), Vincere est à voir absolument.