Messiah of Evil
Les premières images de Messiah of Evil troublent et bouleversent nos repères cinéphiliques : la photographie saturée de bleu et de rouge, et la musique dissonante, rappellent le cinéma horrifique italien de Dario Argento et Mario Bava. Quant aux séquences de meurtres, les plans rapprochés sur les visages des actrices aux traits nobles et sur les armes blanches font ouvertement de l’œil au giallo. Ces éléments formels brouillant les pistes, il est donc difficile d’imaginer que ce petit film d’épouvante est bien d’origine américaine.
C’est même en Californie que le film se déroule, dans la petite ville côtière de Point Dune. C’est là que se rend Arletty (Marianna Hill), bien décidée à retrouver son père, un artiste peintre. Mais une fois sur place, elle découvre le journal intime de son paternel, et comprend peu à peu que la bourgade est comme ensorcelée, et sa population victime d’une malédiction.
Cette mythologie de la ville fantôme, de la dimension parallèle coupée du monde (élément constitutif du cinéma d’horreur américain, de 2000 Maniacs à The Wicker Man en passant par Fog et L’antre de la folie de John Carpenter), le réalisateur Willard Huyck (qui signera le scénario d’Indiana Jones et le temple maudit) la digère pour en livrer une pure œuvre d’art et essai, à la fois film de zombies et de cannibales et délire d’esthète impénétrable et envoûtant. Préférant la nuit et les ténèbres pour raconter son histoire, le metteur en scène fait de chaque être vivant une menace potentielle, muette et omnisciente, observant impassiblement ceux qui ne sont pas encore « contaminés » par le Mal (effet renforcé par les peintures sur les murs de l’étrange maison du père d’Arletty, représentant des hommes debout, fixant celui qui les contemple).
On pourra déceler ce que l’on veut dans ce film volontairement cryptique : le conservatisme des petites villes refusant l’arrivée d’étrangers et de leurs mœurs légères (Thom, l’homme qu’Arletty rencontre, accompagné de deux femmes), la punition d’une population par ce « Messie du Diable » qui revient à date fixe les remettre dans le droit chemin (celui de l’antimonothéisme ?), la montée en puissance de la violence et de sa médiatisation (guerre du Vietnam).
Mais c’est avant tout l’expérience sensorielle et horrifique si singulière qui importe. Car en laissant volontairement des zones d’ombre dans son scénario, Messiah of Evil, jamais explicatif, flirte avec le surréalisme. L’héroïne, qui raconte son histoire depuis un hôpital psychiatrique, est‑elle en train de rêver ? A‑t‑elle inventé de toutes pièces ce cauchemar ? Qu’importe, car aux yeux du spectateur, le cauchemar existe bel et bien (tout comme la pipe du tableau Ceci n'est pas une pipe de Magritte). Un petit bijou.