City Girl
États‑Unis, 1929. Lem Tustine, un jeune paysan du Minnesota, est envoyé par son père à Chicago pour y vendre la récolte de blé de la ferme familiale. Une fois débarqué dans la grande ville, il fait la connaissance de Kate, une jolie serveuse employée dans un snack‑bar. Cette dernière, étouffée et oppressée par la vie citadine, rêve en secret d'un quotidien plus doux, à l'écart des turbulences. Les deux jeunes gens se sentent attirés l'un vers l'autre, mais ne se l'avouent pas de suite. Alors qu'il s'apprête à monter dans le train censé le ramener dans sa campagne, Lem décide de retourner chercher la demoiselle, et la demande en mariage. Désormais unis, les deux tourtereaux partent s'installer à la ferme, chez les parents de Lem. Mais le patriarche n'accepte pas sa bru, la considérant comme une fille facile, et la gifle…
À l'origine, City Girl devait s'appeler Our Daily Bread (notre pain quotidien), car Murnau, qui signait là son troisième film américain après L'aurore et Four Devils, avait pour intention de mettre en scène un hymne au blé, personnage à part entière du film. Finalement, le réalisateur allemand, plus connu pour ses œuvres expressionnistes dont Nosferatu est le plus célèbre représentant, s'est plus précisément intéressé à l'opposition entre monde urbain et rural, ancrant fortement son récit dans la réalité américaine en choisissant Chicago pour représenter la métropole et le Minnesota pour la campagne (en réalité, le film a été tourné dans l'Oregon).
Ainsi, Murnau opte pour un réalisme à la lisière du documentaire (voir les plans montrant les étapes de la moisson), un naturalisme dans ses compositions qui montre l'américanité dans tous ses états, la grandeur de ses métropoles et l'infinité de sa nature. Mais le cinéaste s'intéresse aussi au sort de la femme à l'aube de la Grande Dépression. Les trois portraits de femmes du film ne dressent pas un tableau très réjouissant de la condition féminine. En premier lieu, Kate reste une esclave des hommes, qu'elle travaille en tant que serveuse en ville ou qu'elle s'occupe des tâches ménagères à la ferme, son beau‑père la considèrant responsable de tous les maux. La seconde, la mère, apparaît comme résignée face à la dureté de son époux. Enfin, la troisième, la petite sœur de Lem, est le souffre‑douleur de son père et ne reçoit guère d'affection de la part des autres personnages.
Ainsi Murnau livre‑t‑il une critique complète d'une société tiraillée entre ses racines (la terre, le monde rural, la foi mais aussi parfois l'intolérance) et l'abstraction de la ville, séduisant espace de liberté mais aussi lieu d'étouffement et d'oppression. Aucune facette de ce monde n'est entièrement bonne ou mauvaise, mais c'est le fossé qui les sépare qui génère des conflits, et les femmes en subissent les conséquences. La nature américaine, Murnau la sublime, mais n'oublie pas pour autant ses côtés les plus amers. Un grand film aux petites imperfections (la conclusion, un peu abrupte) et aux grandes qualités formelles, souvent éclipsé par L'aurore, mais qui mérite d'être considéré à sa juste valeur.