le 31 mars 2010 - 12h49

Peter Jackson, poète du gore

Dans Le retour du roi, un des seigneurs de guerre des forces du Mal ressemble à s'y méprendre au personnage de Bad Taste. Sorte de tête de porc boursouflée parsemée de pustules immondes, créant un lien direct avec les débuts de Peter Jackson au cinéma. Retour sur une carrière unique et un vrai dingue… de cinéma.

A

Il y a sans doute deux Peter Jackson. Le premier, cinéaste démiurge à la tête de deux trilogies monstres, Le seigneur des anneaux et Le Hobbit bien sûr, saga à laquelle il aura consacré plusieurs années de sa vie. Le second est issu du cinéma d’exploitation du début des années 80, porte‑drapeau d’un genre gore et festif à la fois inventif, débridé et absolument potache.

Bad Taste, son premier film culte tourné pour une poignée de dollars, racontait une invasion d’extraterrestres venus chercher des cerveaux humains afin de palier une pénurie de viande dans leurs hamburgers. Vingt ans plus tard, le jeune Jackson a acquis ses galons de cinéaste rentable et efficace au point d’être projeté à la tête de l’un des projets hollywoodiens les plus pharaoniques de ces dernières années. Après cette adaptation magistrale de Tolkien, Jackson explore les thèmes qui l’ont fasciné lorsqu’il était enfant. Avec sa propre version du classique de Schoedasck et Cooper, il signe son King Kong, film d'une beauté et d'une intensité à couper le souffle.

 

Jeunes débuts

Né à Welltingon, Nouvelle‑Zélande, en 1961, Peter Jackson est très vite pétri de comics, de films fantastiques, des Monty Python dont il retiendra l’humour décalé, de Ray Harryhausen (Jason et les Argonautes) et de King Kong justement. Très jeune, il acquiert une caméra Super 8 et tourne ses premiers courts métrages d’horreur (si l'on en croit la légende, le jeune Néo‑Zélandais bidouilla même une première version de King Kong à l'âge de 12 ans, avec un gorille en peluche et un Empire State Building en carton), avant d’acheter en 1983 une caméra 16 mm avec laquelle il réalise Bad Taste (1988), bijou du cinéma d’horreur concocté avec un budget ridicule.

 

Coup d'essai sublime

Le succès du film lui permet d’enchaîner avec Meet the Feebles, un long métrage entièrement interprété par des marionnettes délirantes et pétomanes, et surtout Braindead en 1992, chant du cygne d’un genre né trente ans plus tôt avec 2000 Maniacs de Hershell Gordon Lewis. À partir d’un script minimaliste (la morsure d’un singe‑rat plonge une petite ville néo-zélandaise dans un chaos orgiaque et sanguinolent), Jackson livre un festival gore où les séquences loufoques s’enchaînent à la vitesse de la lumière. Bourré de références cinéphiliques (de Psychose à King Kong en passant par les films de Harryhausen), Braindead écrase tous les tabous visuels et thématiques, et s’achève par une séquence sanguinaire mémorable. Le héros, un jeune homme flanqué d’une mère desquamante et acariâtre, tente d’endiguer l’invasion de zombies dans sa maison et, armé d’une tondeuse, dézingue des hordes de créatures déchaînées qu’il passe à la moulinette de sa machine comme s’il s’agissait d’un robot‑mixeur.

 

Changement de cap

En 1996, Jackson signe Fantômes contre fantômes. En dépit d’une collaboration houleuse avec Robert Zemeckis, le réalisateur de Braindead parvient à donner au film sa griffe personnelle et offre à Jeffrey Combs, le savant fou de Re‑Animator, l’un de ses meilleurs rôles. Après avoir atteint les sommets du délire scato avec Meet the Feebles (version irrévérencieuse et hard du Muppet Show), puis du gore parodique avec Braindead (le film qui enterre définitivement le genre), Peter Jackson change alors de cap en 1996 et abandonne pour un temps ses délires comico-sanglants au profit d’une étude psychologique remarquable, celle d’une amitié trop violente entre deux adolescentes que tout oppose, comme les deux faces indissociables d’une même pièce. Inspiré d’un fait divers survenu au début des années 50, Créatures célestes évoque l’histoire tragique de Pauline, une jeune fille introvertie mais brillante, et de Juliet (Kate Winslet, deux ans avant Titanic) qui, pour braver la morosité dans laquelle les confine leur environnement corseté, se lancent dans l’écriture d’un roman fantastique où se côtoient les fruits fantaisistes de leur esprit fertile. Mais ce monde fictif baptisé Borovnia, espace imaginaire et privé à la fois rassurant et inquiétant, les conduira à éliminer les obstacles de leur vie réelle. Film d’une grande beauté plastique privilégiant l’atmosphère fantastique à la trivialité réjouissante de Bad Taste ou Braindead, Créatures célestes fut dans la carrière de Jackson un film charnière, prouvant à ses détracteurs sa capacité à œuvrer à l’intérieur d’un genre hyper‑codé (le film d’horreur) sans sacrifier sa dimension poétique. C’est sans doute la réussite artistique du film qui décida la New Line de confier à ce jeune cinéaste néo-zélandais l’adaptation du chef‑d’œuvre de Tolkien.

 

Réalisateur et producteur

Aujourd'hui, le cinéaste (dont le très bon dernier film, Lovely Bones, est sorti sur les écrans le 10 février) se lance dans la production. On lui doit notamment l'étonnant et assez réussi District 9 de son compatriote Neill Blomkamp. Après diverses difficultés avec New Line, il prend aussi en charge la production exécutive des deux films du projet Bilbo le Hobbit annoncés en salles en 2012 et réalisés par Guillermo Del Toro (avec Ian McKellen, Le seigneur des anneaux, et Andy Serkis, King Kong). Également associé depuis 1993 avec Richard Taylor de Weta Workshop, studio d'effets spéciaux spécialisé en prothèses et maquillages (qui avait déjà travaillé sur Meet the Feebles), Peter Jackson profite de sa nouvelle division dédiée aux effets spéciaux créés par ordinateur, Weta Digital, pour devenir une référence dans le domaine. Il projette même un temps d'adapter le jeu Halo, avant que 20th Century Fox et Universal ne décident de pas investir sur le film, jugé trop risqué. Mais en collaboration avec Steven Spielberg, Peter Jackson vient de s'attaquer à un nouveau mythe, soit l'adaptation cinématographique de Tintin, la célèbre bande dessinée signée Hergé. Pour l'occasion, Weta Digital a utilisé un nouveau procédé de capture de mouvement. Spielberg a réalisé le premier film, Jackson s'attellera au second.

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