le 23 octobre 2012 - 17h19

Abel Ferrara, la chair et le sang

Au fil des années, Abel Ferrara s’est imposé comme l’un des grands cinéastes contemporains. Provo­quant l’amusement ou l’agacement, l’homme est volontiers cabotin, cultivant à chacune de ses apparitions l’art de la provocation.

A

Morceaux choisis du bonhomme : « Je n’ai ni besoin de Hollywood, ni des financiers européens ou de Wall Street, ni de chef‑opérateur. J’ai encore besoin d’acteurs mais plus pour très longtemps ».
« Je porte toute mon attention sur les yeux, le regard des acteurs, c’est tout, et il me semble que tout le reste vient faire obstacle. Au fond, à part le regard... le mobilier ne m’intéresse pas tellement ».
Ou encore, à propos de Madonna dans Snake Eyes : « Pour moi, elle est d’abord un être humain, je me fiche de son image. Elle avait déjà travaillé avec Harvey Keitel, et quelque chose passait entre eux. Après tout, c’est lui le metteur en scène du film dans le film, il voulait Madonna, alors j’ai voulu Madonna ».

 

Les débuts

Sa carrière commence au début des années 80 avec deux « petits » films B : Driller Killer et L’ange de la vengeance. Dans ce dernier, une jeune femme, suite à un viol sauvage, se transforme en une justicière hystérique qui exécute ses proies masculines en tenue de bonne sœur. La cruauté du propos et l’extrême violence deviendront dès lors l’un des motifs récurrents de l’œuvre de Ferrara.

 

La violence

Violence des rapports sociaux (Snake Eyes) et amoureux (The Blackout), violences intestines (Nos funérailles, The King of New York), ou encore urbaines (Bad Lieutenant), tous les films de Ferrara mettent en scène des personnages en lutte avec leur environnement. Réalisateur jusqu’au boutiste qui ne recule devant aucun effet, Abel Ferrara incarne à merveille un cinéma viscéral, nourri aux tripes de l’auteur, des acteurs et des techniciens. Ses héros, qu’ils soient minés par la culpabilité (Harvey Keitel dans Bad Lieutenant, Christopher Walken dans The King et Chris Penn dans Nos funérailles), le désir de vengeance (L’ange de la vengeance) ou d’autodestruction (The Blackout), sont des êtres au bord de la rupture, embarqués dans des expériences limites dont ils ne ressortiront pas indemnes.

 

En tout genre

En trente ans de carrière, le réalisateur de Bad Lieutenant s’est ainsi frotté à tous les types (il réalise même deux épisodes de Deux flics à Miami en 1985), tentant à chaque fois de passer au filtre d’une vision personnelle, voire auteuriste, les codes immuables imposés par les films de genre. Il donne ainsi au film d’autodéfense l’une de ses plus cruelles moutures (L’ange de la vengeance), détourne les codes de la science‑fiction avec un troisième remake de L’invasion des profanateurs de Don Siegel (1993) et réalise un film de mafia (Nos funérailles). Il n'hésite pas non plus à revisiter la passion tragique de Roméo et Juliette sur fond de minorités ethniques (China Girl), ainsi que le mythe du vampire avec The Addiction. Enfin, il s’intéresse aux coulisses de la création en même temps qu’il donne à Madonna certainement son plus beau rôle (Snake Eyes).

 

Acteurs et actrices

Pour The Blackout, présenté au Festival de Cannes 1997, Abel Ferrara s’adjoint les services de Béatrice Dalle, coutumière des rôles limites, et de Claudia Schiffer, dont ce furent les débuts sur grand écran. À leurs côtés, Mathew Modine campe Matty, un acteur à succès enferré dans les arcanes de la drogue et de l’alcool. Un jour, suite à une violente dispute, sa petite amie s’évanouit dans la nature. Persuadé de l’avoir assassinée, Matty va tenter de retrouver la mémoire. Synthèse parfaite de l’univers ferrarien, The Blackout évolue à mi‑chemin de Snake Eyes (la peinture clinique et sans concessions de l’univers artistique) et de Bad Lieutenant (la dérive autodestructrice). Directeur d’acteur hors pair, ceux‑ci ont toujours payé un lourd tribut leur collaboration avec Ferrara. À la sortie de Snake Eyes en 1993, celui‑ci expliquait le choix de ses acteurs : « J’essaie simplement de voir ce que je peux obtenir d’un acteur, lequel peut être mauvais dans plusieurs films puis excellent dans d’autres. De toute façon, avoir un bon acteur ne signifie pas forcément qu’il sera bon dans le film qu’on veut tourner ».

Harvey Keitel dans Bad Lieutenant (1992)

Harvey Keitel dans Bad Lieutenant (1992)

 

L'affaire DSK

Alors qu’il occupe aujourd’hui sur la scène du cinéma américain une place de choix, Ferrara a annoncé en pleine affaire DSK vouloir tourner un film qui s'en inspirerait de près ou de loin. Deux comédiens français ont déjà répondu présents pour incarner le couple DSK/Sinclair : Gérard Depardieu et Isabelle Adjani. Le cinéaste de la violence. Toutes les violences…

 

Filmo sélective

1981 : Driller Killer • 1982 : L’ange de la vengeance (Ms.45) • 1984 : New York, deux heures du matin • 1985 : Fear City • 1987 : China Girl • 1990 : The King of New York • 1992 : Bad Lieutenant • 1993 : Snake Eyes • 1993 : L’invasion des profanateurs • 1995 : The Addiction • 1996 : Nos funérailles • 1997 : The Blackout • 1998 : New Rose Hotel • 2007 : Go Go Tales • 2011 : 4h44 dernier jour sur terre

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