par Jean-Baptiste Thoret
06 octobre 2009 - 14h44

Exilé

VO
Exiled
année
2006
Réalisateur
InterprètesAnthony Wong Chau-Sang, Francis Ng Chun-Yu, Nick Cheung, Josie Ho
éditeur
genre
notes
critique
7
10
label
A

Johnnie To occupe aujourd’hui à Hong-Kong la place qui fut celle de Tsui Hark avant la rétrocession de 1997, soit une sorte de maître d’œuvre omnipotent, réalisateur, producteur, dénicheur de talents et patron d’une société de production (Milkiway) sur laquelle il règne comme un mogul.

Johnnie To en cinq films donc, disponibles chez TF1 Vidéo. Tout d’abord Johnnie To aux commandes, dans un diptyque (Election 1 & 2), Exilé, son chef-d’œuvre (mis en avant ici, NDLR), et Sparrow.

Dans les deux Election, Johnnie To utilise une même structure scénaristique : la fin du mandat d’un vieux chairman des Triades s’achève, c’est le moment de la désignation du futur chef et le début d’une campagne sanglante entre les deux prétendants. D’un côté Lok le calme, de l’autre Big D., un chien fou violent. Dans Election 2, Lok remet son mandat en jeu. Nouvelle campagne, nouvelles atrocités feutrées (téléphone portable et sabre ensanglanté), et surtout, nouvelle donne politique. L’action se situe après la rétrocession de Hong-Kong à la Chine et le nouveau prétendant, Jimmy (Louis Koo), un homme d’affaires en quête de respectabilité, brigue la présidence des Triades sous la pression des autorités chinoises, qui veulent bien pactiser avec la mafia hong-kongaise mais pas avec ses seconds couteaux. C’est ce que l’on appelle des intérêts bien compris : Jimmy entend profiter de la libéralisation économique de l’ancienne Chine populaire laquelle, afin d’entrer dans l’ère du capitalisme, entretient un système de corruption féodal qui, sans son soutien, décrépirait. Un diptyque monstre et hyper-maîtrisé qui, au-delà du genre, constitue une critique impressionnante des liens entre la corruption et la politique à Hong-Kong.

Dans Filatures, petite merveille signée Yau Naï-Ho, le scénariste de Johnnie To, des hommes en suivent d’autres dans les rues de Hong-Kong. Ils les surveillent, les épient, les filent, les enregistrent, les identifient puis refilent leur bébé à des flics chargés, eux, de les coffrer. D’un côté, un flic pro aux allures faussement débonnaires (Simon Yan) et son équipe, de l’autre, le cerveau d’une bande de braqueurs de bijouterie (Tony Leung). Sur le papier, Filatures (Eye in the Sky en VO) possède tous les attributs du petit film concept, fidèle au style de son producteur et gourou. Cette fois, To confie à l’un de ses fidèles, Yau Naï-Ho donc, le soin de mettre en scène ce polar sec qui, avec modestie et précision (après tout, l’art de filmer une filature constitue un problème de cinéma que peu de réalisateurs ont su aussi bien résoudre), reprend la ligne de Blow Up, lance des clins d’œil aux filatures de French Connection et à l’armada technologique des agents gouvernementaux d'Ennemi d’État, mais se concentre avant tout sur la description des dispositifs de surveillance et sur ses innombrables techniques : comment passer le temps lorsqu’une planque s’éternise ? Comment transformer sa rétine en petit appareil d’enregistrement ? Comment se fondre dans la foule sans se faire repérer ? Comment tracer un appel ? Autant de questions que Yau, sous l’influence de certaines des séries TV américaines (24 heures, Les experts) a l’intelligence d’envisager sous un angle professionnel, mécanique et clinique, comme ces images de caméra vidéo qui ponctuent le film et absorbent sa chaleur. Car Filatures adopte d’abord le strict point de vue mécanique de la surveillance et laisse aux caméras de contrôle, aux micros et aux téléphones portables, le soin de dicter l’avancée du récit. Se met alors en place une esthétique de la surveillance généralisée, sans âme et sans affect qui, contrairement au cinéma de De Palma (Snake Eyes surtout) auquel on serait tenté de le rapprocher, ne dissimule ni grand monocle mabusien ni supra complot politique. Le grain de sable vient d’ailleurs d’un petit hiatus que le film, via les premiers pas d’une jeune recrue qui s’accommode difficilement de la froideur de son métier, nous rappelle en sourdine : si la caméra enregistre toute seule, il faut bien un œil humain pour regarder ses images, pour les analyser, pour en tirer des conclusions, et par conséquent des actes. Et c’est là que le bât blesse, lorsque surgit « l’homme fantôme », le chef des braqueurs, malfrat violent et paranoïaque (pour lui, vivre, c’est être surveillé) qui va pointer la réversibilité du système de surveillance façon l’arroseur arrosé, et surtout, imposer à ses poursuivants de choisir entre l’exécution froide d’un programme de surveillance et la dimension imprévisible de la réaction de celui ou celle qui l’exécute. Au fond, c’est le « plombier » joué par Gene Hackman dans Conversation secrète que Yau a dans le rétroviseur. Dilemme : secourir un homme qui pisse le sang sur le trottoir ou poursuivre sa filature au risque de le voir mourir ? Ouvrir les yeux ou les fermer ? En soi, nous rappelle justement ce petit film hyper-maîtrisé, une image (et peu importe qu’elle soit de surveillance ou de cinéma) ne pense rien. Une image n’est pas dangereuse ou salutaire, elle le devient lorsqu'un œil se pose sur elle.

Enfin Exilé. Johnnie To revient ici à ses premières amours, le polar nonchalant et stylisé façon The Mission. Macau, quelques mois avant le retour de l’ex-colonie portugaise dans l’escarcelle chinoise. Le temps presse, un flic vieillissant atteint sa retraite, les affaires doivent s’expédier et les territoires entre mafieux se redéfinir rapidement. Quatre tueurs à gages débarquent dans un quartier désert afin de tuer Wo, un ex-partenaire qui a failli dézinguer leur patron. Mais l’affrontement se transforme en retrouvailles, et voilà notre bande poursuivie par des hordes de flingueurs placides au sein d’une ville dépeuplée. Une heure, la mort de Wo et deux fusillades plus loin, le groupe atteint le désert. Retour au western, le genre fétiche de Johnnie To, à son décor, ses dunes de sable et son magot : un chargement d’or. C’est notamment dans le dialogue noué par Johnnie To avec le cinéma de Leone (Et pour quelques dollars de plus et Le Bon, la Brute et le Truand surtout) que réside toute la puissance d’Exilé. Comme Leone, To porte sur ses tueurs à gages un regard d’enfant (même candeur, mêmes jeux, même insolence) ; comme Leone, Johnnie To est un amoureux des dispositifs (deux bandes rivales, le hall d’un hôtel, la chute d’une canette pour délimiter le temps du gunfight, trois clans et des armes scotchées sous les tables), et devient brillant dès qu’il s’agit de les faire fonctionner dans le détail ; comme Leone enfin, il sait que ses quatre héros appartiennent à une race en voie d’extinction, exilés et petits-fils lointains de Jason Robards et Henry Fonda dans Il était une fois dans l’Ouest. Une merveille.

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Exiled
Tous publics
Prix : 19,99 €
disponibilité
04/06/2009
image
2.35
SD 576i (Mpeg2)
16/9 compatible 4/3
bande-son
Français Dolby Digital 2.0
Kong-kongais Dolby Digital 5.1
Hong-kongais Dolby Digital 2.0
sous-titres
Français (imposé sur la VO)
8
10
image
L'image d'Exilé est absolument superbe. Difficile de lui reprocher quoi que ce soit. Cadrage, esthétique, précision, compression, niveau de noir, on aime tout.
7
10
son
Grosse différence de sensation entre la VO 5.1 et les pistes 2.0. Claire, joliment spatialisée, parsemée de petits effets dévastateurs, la VO 5.1 colle parfaitement à l'esprit du film. Beaucoup moins de précision en 2.0, des dialogues plus ternes et une localisation très (trop) axée à l'avant.
2
10
bonus
- Making of (12')
- Bandes-annonces des cinq films de la collection
De quoi prolonger le plaisir, mais à peine plus.
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