Jeunes mères
Quatre jeunes filles, à peine sorties de l’adolescence, se retrouvent dans une maison maternelle. Julie, Jessica, Ariane et Perla deviennent mères alors qu’elles sont encore des enfants. Le film des frères Dardenne, fidèle à leur cinéma, capte avec pudeur et sans jugement cette transition brutale entre deux âges.
On est inconscient quand on a 17 ans
Ce treizième film de Jean‑Pierre et Luc Dardenne (et presque autant de prix cannois) est encore une fois un petit bijou d’humanité. Comme son titre l’indique, il se focalise sur quatre jeunes filles, de jeunes mères (ou futures) confrontées à l’un des questionnements les plus terribles de leur vie : seront‑elles capables d’élever (souvent seules) leur enfant alors qu’elles le sont encore elles‑mêmes ?
Pas vraiment un récit, plus une succession de portraits, le film Jeunes mères nous parle de jeunes femmes confrontées à une maternité précoce, à leurs doutes, obligées de perdre leur enfance très vite. L’innocence qui s’étiole sous le regard des spectateurs, c’est à la fois terrible et beau.
Quatre destins à la base détruits par la vie et un déterminisme social qui vont peu à peu se reconstruire en la donnant à leur tour. Une magnifique boucle cinématographique qui prend aux tripes tant la caméra des Dardenne ne cherche en rien ni le pathos ni le jugement, mais simplement la justesse d’histoires sans doute très (trop) banales.
Au‑delà de la maternité, le film parle également de la force de la sororité. La figure masculine apparaît d’ailleurs le moins possible à l’image. À l’instar de ce père violent qui n’est perçu que par sa voix et sa paire de bottes. Les seules véritables figures masculines du film seront d’ailleurs celles de deux des pères, encore enfants eux aussi et dont l’un est fuyant.
La question de la figure paternelle n’est d’ailleurs pas le sujet du film. Elle n’est pas éludée pour autant. Juste trop souvent absente. Les femmes, les filles, elles, s’entraident ou du moins essaient de faire de leur mieux. Même si c’est pour de mauvaises raisons, comme avec cette grand‑mère qui tente maladroitement de se racheter une conscience, preuve que devenir mère ne rend pas toujours meilleur… mais que le désir d’y croire reste là.
Donner la vie
La maternité, chez les Dardenne, n’est ni sacralisée ni idéalisée. Elle est brute, lourde, et pourtant, elle peut être source de reconstruction. Dans une scène terrible, une mère laisse son enfant en espérant lui offrir une vie meilleure. Dans une autre, une femme évoque son propre abandon passé. Les deux scènes se répondent, comme un écho générationnel déchirant.
Le casting, composé en grande majorité de visages inconnus, brille par sa sincérité. Seule exception : India Hair, au visage désormais familier du cinéma d’auteur, qui dénote un peu. Il sonne malheureusement comme un rappel que ces histoires n’appartiennent pas qu’à la fiction. Dommage.
Mais si le film serre la gorge, il sait aussi faire naître çà et là un sourire. Jeunes mères nous touche parce qu’il parle de choses profondément universelles : l’abandon, la peur, l’amour, le poids des choix. Et s’il semble d’abord parler de maternité, il évoque aussi le fait de devenir adulte dans un monde qui ne vous attend pas. Donner la vie sans l’avoir encore vécue pleinement, se construire en donnant la chance à un autre de naître.
Encore une fois, les Dardenne réussissent ce qu’ils savent faire de mieux : raconter l’intime sans jamais surligner, en laissant toujours une part de mystère, de pudeur. Un film d’une humanité rare, et peut‑être l’un de leurs plus beaux.