Les Sentinelles

Qu’il est plaisant de voir des productions françaises dotées d’une réelle ambition et qui s’en donnent les moyens. Surtout quand il est question de reconstitution historique, genre spécialement risqué. Au cinéma, on pense notamment au récent carton du Comte de Monte‑Cristo ou des Trois Mousquetaires. Du côté des séries, c’est au tour de Canal+ (après Paris 1900) de mettre les moyens avec Les Sentinelles, un show se déroulant durant la Première Guerre mondiale. Inspirée de la série de BD franco‑belge éponyme de 2009, cette œuvre, qui est d’ailleurs la première de la firme à être diffusée en simultané en France et dans d’autres pays, ajoute au récit historique une sérieuse dose de fantastique.

Captain America mené à la baguette

Si le matériau original faisait déjà la part belle aux cyborgs et aux sérums pour améliorer les capacités humaines, la série embrasse un peu plus la mode des super‑héros, ajoutant ou modifiant plusieurs des éléments par rapport aux BD. Forcément proche d'un certain Captain America chez Marvel, Les Sentinelles suit Gabriel Ferraud, un soldat français aux portes de la mort qui se voit injecter un sérum miracle et surtout décupler ses capacités physiques. Il rejoint alors une unité d’élite de soldats chargés de gagner la guerre face à un adversaire qui semble avoir eu la même idée.

Ce choix de mélanger un peu plus frontalement les thématiques de la guerre et des super‑héros, quitte à simplifier ou retoucher en profondeur l’œuvre originale, n’est pas réellement un problème. Une adaptation strico sensu n’aurait pas grand intérêt, et le mélange proposé fait des étincelles. Durant ses 8 épisodes d’environ 40 minutes, le temps file à toute allure et on ne s’ennuie jamais. Certes, certains éléments scénaristiques sont assez prévisibles et l’ensemble aurait mérité un peu plus de profondeur, mais en tant que divertissement sombre bien réalisé, Les Sentinelles est difficile à critiquer.

Cela s’explique avant tout par la grande réussite visuelle de la série. Le travail de reconstitution crédible aide à croire à cette version légèrement alternative de l’Histoire, que l’on soit sur le front ou à Paris, tandis que les costumes « steam punk réaliste » font mouche. On pourra sans doute regretter une photo très marron/gris/jaune quand la BD tentait un peu plus de couleurs, mais ce choix artistique, soutenu par une excellente mise en scène, renforce l’aspect sérieux et impitoyable de la série. Les Sentinelles assume de s’inspirer des derniers films Batman ou Logan, proposant un récit adulte, réaliste et n’oubliant pas la psychologie des personnages au milieu de l’action.

Ça va tranchées, chérie

Même les combats, y compris au corps à corps, sont bien filmés et ont du punch, rappelant parfois Daredevil (le générique d’ouverture surtout), sans tomber dans le piège d’en faire trop avec le côté super‑héros. On en viendrait presque à regretter que les affrontements ne soient pas plus nombreux et grandioses. La réalisation assurée par Edouard Salier et surtout Thierry Poiraud, en charge de la direction artistique, est aussi à saluer. Plusieurs plans de paysages notamment donnent l’impression d’avoir directement été extraits d’une case de BD. Les effets spéciaux et de lumière flattent aussi régulièrement la rétine.

Du côté des rares regrets qui empêchent Les Sentinelles de devenir un classique instantané (pour le moment), on pourra relever une musique un peu trop oubliable, quelques acteurs/actrices en dessous des autres, ou encore un héros qui manque un peu d’épaisseur. Certains seconds rôles sont plus intéressants à suivre que Gabriel, notamment du côté des rares femmes de l’intrigue. On appréciera d’ailleurs que le casting soit composé en majorité de visages peu ou pas connus. Le fait d’utiliser le français et l'allemand est également un bon choix pour l’immersion.

Il ne reste désormais plus qu’à espérer que le show rencontrera le succès qu’il mérite, car bien des choses restent à explorer dans cet univers. Nous sommes parés pour retourner au front, avec ou sans sérum.