le 02 décembre 2025 - 17h17

Noomi Rapace : bonne Mère

Drôle de carrière que celle de Noomi Rapace, découverte avec le rôle de Lisbeth Salander dans Millénium. Des femmes fortes, souvent, parfois mystiques, voire les deux. Confirmation pour un certain goût de l'étrange avec Teresa, sorte d'anti‑biopic punk qui draisse le portrait d'un mythe absolu.

A
soutenir
noomi-rapace-bonne-mere
Noomi Rapace à la première Bugonia dans le cadre du 82e Festival International du film de Venise au Lido de Venise, août 2025 © Aurore Marechal / Abacapress / Alamy Live News

Que connaissiez‑vous de Mère Teresa avant de l’incarner ?

Honnêtement, je ne savais pas grand‑chose d’elle avant qu’on ne me propose le rôle. Je connaissais l’icône, bien sûr, la sainte que tout le monde vénère, mais je ne connaissais pas grand‑chose d'elle en tant que personne, en tant que femme.

 

Mais l'intérêt de Teresa, n’est‑il justement pas qu'il déshabille le‑mythe ?

Exactement. C’est précisément ce qui m’a attirée : explorer l’humaine derrière la légende. J’ai découvert une femme en proie à une lutte intérieure permanente, une souffrance profonde, une douleur presque physique. Elle était beaucoup plus complexe que l’image lissée qu’on en a aujourd’hui. Une femme brisée par ses propres questions, bien loin de la sainteté sereine que l’on imagine.

 

Aviez‑vous conscience que le film allait avoir un coté punk, qu’il serait une sorte d’anti‑biopic ?

C’est carrément punk, oui ! (sourire) Et j’adore ça. J’aime les gens qui bousculent les codes, qui remettent tout en question, y compris eux‑mêmes. Teona Strugar Mitevska, la réalisatrice, est exactement comme ça : une rebelle. Je savais donc que ce ne serait pas un biopic classique, lisse et prévisible. Les biopics traditionnels ? Souvent ennuyeux. Si on essaie d’y caser toute une vie, on survole tout et ça devient aussi passionnant qu’une page Wikipedia. (rires). Là, ce n’était pas du tout le cas. Travailler avec Teona était une expérience intense. On a beaucoup débattu, nos visions s’affrontaient parfois, mais c’est comme ça qu’on a construit quelque chose de vrai. Aujourd’hui, on est devenues très proches.

 

Incarner un tel personnage questionne‑t‑il forcément votre foi ?

J’ai ma propre relation à la spiritualité. Je ne suis pas religieuse au sens traditionnel, je ne suis rattachée à aucun dogme, mais je suis spirituelle. Je médite tous les jours. J'imagine que c'est ma forme de prière. Ce qui me pose problème, c’est quand les systèmes de croyance deviennent rigides, dogmatiques. Quand tout devient noir ou blanc, sans nuance… Là, je décroche.


Avec Mère Teresa, le vrai défi a été d’aborder sa position sur l’avortement. Pour moi, féministe et Européenne, c’est une évidence : le droit de disposer de son corps est non négociable. Pourtant, en plongeant dans son esprit, en laissant son raisonnement m’habiter, j’ai compris sa logique : « Chaque enfant est un cadeau de Dieu, chaque vie peut changer le monde ». En théorie, c’est beau. Mais la réalité est beaucoup plus rude. Un enfant né dans la misère absolue, ou non désiré… La question est bien plus complexe qu’un simple dogme. Je ne partage pas son avis, mais je l’ai compris. Ça fait partie de mon travail d’actrice.

 

Avez‑vous ressenti le poids que représente le mythe Mère Teresa, sur vos épaules ?

Comme vous l'avez dit, ce n'est pas un vrai biopic, c'est un… anti‑biopic. J'adore ça, je vais réutiliser le terme ! Oui, j’ai senti ce poids, mais pas seulement comme une charge. Plutôt comme une présence. Comme si elle veillait sur moi pendant le tournage. Une bénédiction étrange, en quelque sorte.


Mais ce qui m’a vraiment marquée, c’était sa douleur. Je pense que c'était une femme très dure, extrêmement ambitieuse, très motivée, mais également en proie à de nombreux conflits intérieurs. Et le poids que je ressentais était surtout dû à la douleur qu'elle endurait parfois. Elle exprime souvent dans ses lettres ses doutes intérieurs, elle s'autocritique beaucoup. On ressent un profond sentiment de solitude. Elle suffoquait. Elle souffrait. Pour moi, ce fut très intense de découvrir la douleur qu'elle ressentait. Une douleur que je pouvais ressentir physiquement.

 

Est‑ce également un film sur la sororité ?

Absolument. Et pas n’importe laquelle : une sororité entre nonnes, une constellation de femmes qui choisissent une autre voie. N’oublions pas que nous sommes dans les années 1940 ! Devenir religieuse à cette époque, c’était un acte presque révolutionnaire. Beaucoup de ces femmes refusaient le destin traditionnel : épouse soumise, mère au foyer, vie réduite à la cuisine et aux enfants. Elles voulaient autre chose. Une vie qui leur appartienne. « Mon corps, mon choix, ma voie », c’est féministe, non ? (sourire). Elles ont choisi la liberté dans un monde qui ne leur en offrait pas vraiment.

 

Qu’avez‑vous appris sur vous en interprétant Mère Térésa ?

Vous savez, trois rôles ont changé quelque chose en moi de façon permanente : Lisbeth Salander (Millénium), Maria (Lamb), et maintenant Teresa. Aujourd’hui, je vois le monde différemment. Ce personnage m’a rendue plus humble, je l’espère. Il m’a poussée à me remettre en question comme jamais. Je joue maintenant à un petit jeu : me regarder « d’en haut », comme si j’étais une étrangère. Prendre du recul pour observer cette femme qui marche sur Terre… Sans être prisonnière de mon ego, de mes insécurités, de mes « Moi, moi, moi ».

 

Je me demande : est‑ce que j’aimerais cette personne si je la rencontrais ? Suis‑je une bonne amie ? Une bonne partenaire ? Une bonne mère ? Est‑ce que je traite les autres avec bienveillance ? C'est un exercice que j'essaie de faire régulièrement.


Teresa m’a appris cela : la distance, l’humilité, le questionnement permanent. Laisser Teresa entrer dans mon système m'a poussée encore plus loin dans cette démarche.

en plus
soutenir
pour continuer
Chaque semaine, recevez l’actualité tech et culture
Inscrivez-vous
Recevez l’actualité tech et culture sur la Newsletter cesar
Inscrivez-vous
OK
Non merci, je suis déjà inscrit !