par Jean-Baptiste Thoret
05 février 2018 - 19h50

Interstellar

année
2015
Réalisateur
InterprètesMatthew McConaughey, Anne Hathaway, Michael Caine, Jessica Chastain, John Lithgow, Casey Affleck, Mackenzie Foy, Topher Grace
éditeur
genre
notes
critique
5
10
A

Lorsqu’il rêve, Christopher Nolan se prend sans doute pour Stanley Kubrick, sa version 2.0, mais à son réveil, autrement lorsque ses songes deviennent enfin des films, personne n’a osé encore lui dire qu’il ressemblait plutôt à Ron Howard. Ce qui, en soi, n’est pas une tare, dès lors que l’intention raccorde avec le résultat.

Interstellar commence en terre vaguement fordienne, quelque part dans un futur proche (tablettes et drones), entre le « dust bowl » des Raisins de la colère et celui du Magicien d’Oz. Mais ici, pas de Californie à atteindre pour cette humanité vouée à disparaître, pas d’antidote miracle à la destruction des cultures, mais une poignée d’hommes envoyés dans l’espace à la recherche d’une nouvelle terre hospitalière. Cooper (McConaughey) le bien‑nommé sera ainsi le dernier des Mohicans terrestres et le premier de cette planète que lui et son équipage cherchent au bout d’un trou noir, une porte des étoiles où quelques éclaireurs de la Nasa ont, il y a des lustres, tenté de planter le drapeau.

Après une première partie honorable, Nolan plonge dans les arcanes de son jouet rutilant, s’amuse avec ses paradoxes temporels, nous assène ce mode d’emploi dont tout le monde se contrefout mais sur lequel lui et des batteries de scientifiques valides ont dû plancher, un voyage interstellaire donc, à travers une faille de l’espace‑temps censée ouvrir de nouveaux horizons spatiaux et théoriques à l’humanité.

Tout part en vrille, ou presque : les blocs se raccordent mal, la très belle musique de Hans Zimmer fait parfois illusion, les belles séquences ont à peine le temps d’éclore, les meilleures intuitions du script sont tuées dans l’œuf. À l’époque de The Dark Knight et The Dark Knight le Chevalier Noir, coups de force et d’éclat incontestables, Nolan filmait mais avec la bride sur le cou. Il devait se trouver, à Hollywood, un producteur, un studio, pour lui dire que les Rubik’s Cube qui tournaient déjà dans son cerveau méritaient d’être filtrés, travaillés, mis au service d’une vision qui ne soit pas qu’une petite démonstration de force et d’épate. Nolan tournait des films qui se tenaient jusqu'au succès d’Inception, arnaque sympathique et virtuose qui en a séduit tant. Le succès de ce film fut, et demeure, la chance et la malédiction de Nolan. Difficile de garder le cap et la tête froide lorsqu’on vous donne carte blanche ou presque (165 millions de dollars), avec pour mission de livrer un blockbuster adulte et divertissant, et surtout différent de tout ce que l’essentiel de l’industrie produit à la chaîne.

Visiblement, ce producteur Gepetto a disparu et Nolan, qui possède un réel talent de conteur, tourne en roue libre, sans personne pour tirer la sonnette d’alarme. L’homme aime les films‑monde, mais un monde vu depuis la lunette d’un ado, un monde qui parle fort mais ne pense pas grand‑chose. Son ambition : raconter l’univers, en déplier les lois, les possibles, et ces films appartiennent à cette culture geek qui s’éblouit devant les mécanismes, les procédures complexes et toutes sortes de constructions ludiques dès lors que celles-ci suscitent le déchiffrage, l’exégèse et d’interminables débats sur les forums entre internautes fascinés (souvenez‑vous de la toupie d’Inception !).

Interstellar ne déroge pas à la règle et le temps lui manque : la dernière demi‑heure décroche la palme du fourre‑tout puisqu’il s’agit de combler toutes les lacunes ouvertes, de boucler toutes les issues. L’horizon kubrickien devient métaphysique de collégien, l’opacité de 2001 et son vertige (le monolithe) vire à la complexité stérile, les acteurs s’engouffrent sans conviction dans des tunnels de théories astrophysiques, après tout, si papa Nolan l’a écrit, c’est que tout cela doit bien mener quelque part. Mais où ?

Car l’homme veut tout à la fois, la médaille du Kleenex (on passe beaucoup de temps à voir pleurer McConaughey, qui le fait très bien) et celle de la guilde des astrophysiciens, la théorie et l’émotion, Jessica Chastain (envoûtante) et Matt Damon (nul), la position du philosophe et celle du maître de jeu. Que raconte, au fond, le monstre Interstellar ? De quoi accouche‑t‑il ? De pas grande‑chose, sinon de cette petite musique bien connue du mainstream hollywoodien : le plus beau des savoirs se loge au fond du cœur humain.

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Tous publics
Prix : 19,99 €
disponibilité
31/03/2015
image
2.35 + 1.78
HD 1 080p (AVC)
16/9
bande-son
Français DTS-HD Master Audio 5.1
Anglais DTS-HD Master Audio 5.1
Italien Dolby Digital 5.1
Espagnol Dolby Digital 5.1
Portugais Dolby Digital 5.1
sous-titres
Français, anglais, italien pour sourds et malentendants, néerlandais, espagnol, portugais
10
10
image
Quatre choses. 1. Techniquement, ne cherchons pas la petite bête par idéologie (une légère déformation sur les visages dans la fusée lorsqu'ils sont filmés en gros plan ?), l'image d'Interstellar est sublime. Qu'il s'agisse de la première partie avec les tonnes de sable déversé sur le plateau (en fait, un liant alimentaire de même couleur) censé rappeler les fameux « bassins de poussière » de la Grande Dépression américaine des années 30, ou du voyage dans l'espace et ses mondes inconnus, validé par des scientifiques de renom et simulé par ordinateur, on se régale. 2. On se régale d'autant plus si ta taille de votre écran offre tout l'espace nécessaire aux passages en Imax (1.78, soit plein écran en 16/9). Des séquences qui présentent un piqué extraordinaire. 3. Après ce film, on a enfin une petite idée de ce à quoi peuvent ressembler un trou noir et un tesseract. 4. Nolan a su éviter le tout-techno (voire les robots pour une fois non-humanoïdes) et privilégier les prises de vues réelles (en Islande notamment). Le résultat est organique et sensoriel avant tout. Légèrement anxiogène aussi avec sa texture épaisse et ses filtres bruns. Chacun le vivra à sa façon.
10
10
son
S'il y a bien un point qui mettra tout le monde d'accord (sans doute à la rédaction comme ailleurs), c'est l'impact de la BO de Hans Zimmer sur le film. Avec ses infragraves et ses aigus quasi mystiques ayant nécessité des centaines d'heures de travail autour d'un orgue dans une cathédrale, cette enveloppe musicale à la fois charnelle et inquiétante touche au sublime. Bien sûr, chaque groupe d'instruments correspond à un univers particulier du film, ou juste à un personnage, et seuls les plus mélomanes d'entre nous sauront en capter toutes les subtilités, mais nul besoin d'être musicien pour se laisser happer par ces nappes mélancoliques d'un classicisme absolu, mais tout de même teintées d'espoir. Même si Nolan n'a pas voulu donner dans la surenchère sonore (pas de fusées qui font tout trembler ou de bruitages grossiers) en préférant retranscrire de manière réaliste ce qui se passe dans l'espace (pas de propagation du son), sa partition fournit tout de même un spectacle haut de gamme et très actif pour nos systèmes Home Cinéma perfectionnés. On ne vous dit pas l'activité Surround… non, on ne vous dit pas ! VO absolument conseillée pour profiter du jeu des comédiens, Matthew McConaughey en tête, étrangement apathique au début, avant de devenir de plus en plus actif.
10
10
bonus
- La science d'Interstellar (50')
- Coulisses : Préparer un voyage interstellaire/La vie dans la ferme de Cooper/La poussière/Tars et Case/Les sons cosmiques d'Interstellar/Les combinaisons spatiales/L'endurance/Le tournage en Islande : la planète de Miller, la planète de Mann/Le Ranger et le Lander/Miniatures dans l'espace/La simulation de l'apesanteur/Phénomènes célestes/À travers le temps et les dimensions/Dernières pensées (130')
- Bandes-annonces
Passage obligé par les bonus tant ces derniers ont le mérite de rendre accessibles et ludiques quelques grands principes d'astrophysique sans doute flous pour beaucoup de monde (« La science d'Interstellar »). Rappelons que le film est coproduit et validé par Kip Thorne, célèbre astrophysicien qui a ici poussé la représentation de données et algorithmes jusqu'alors cantonnés aux écrans d'ordinateur ultra-perfectionnés. Un petit tour par Kepler 186f, les trous de ver, les trous noirs visualisés pour la première fois grâce aux moyens techniques mis en œuvre sur le film, distorsion de l'espace-temps, vous saurez presque tout. L'autre partie des bonus, tout aussi passionnante et segmentée en de multiples modules, revient sur les choix artistiques de Nolan et son équipe, le tournage de certaines séquences (merveilleuse et glaciale Islande…), les astuces pour simuler les tempêtes de sable (en fait, un agent de remplissage alimentaire totalement inoffensif pour l'équipe et les locaux), les prouesses techniques (avec le concours de Spacex, de la Nasa ou d'une immense plateforme hydraulique…), ou encore l'enregistrement de la BO de Hans Zimmer dans une cathédrale. Génial.
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