par Carole Lépinay
04 juillet 2018 - 13h20

We Blew it

année
2017
Réalisateur
AvecRonnee Blakley, Peter Bogdanovitch, Michael Mann, Jerry Schatzberg, Paul Schrader, Tobe Hooper
éditeur
genre
notes
critique
10
10
label
A

« We did it, man. We did it, we did it. We’re rich, man. We’re reterin’ in Florida ». À son compagnon de route, Captain America objecte : « You know Billy, we blew it ». Nous sommes en 1969, Peter Fonda et Dennis Hopper parcourent l’Amérique en Harley, l’odyssée vertigineuse devient culte, portée par une bande originale logée à la même enseigne. Born to be Wild (Steppenwolf), concentré détonant de rock et d’énergie libertaire, élargit alors les frontières d’Easy Rider.

 

We blew it. Ces trois mots qui prophétisent la fin d’un voyage annoncent pourtant les prémisses d’un (road)‑trip à remonter le temps, un tracé de l’Amérique des utopies à nos jours par Jean‑Baptiste Thoret. Spécialiste du Nouvel Hollywood, l’ancien critique de cinéma a co‑écrit Road Movie, USA (2011) avec Bernard Benoliel. En 2013, il s’embarque dans un périple extraordinaire aux côtés de Michael Cimino (Michael Cimino, les voix perdues de l’Amérique) et s’impose immanquablement comme un cinéphile érudit et passionné avec des essais majeurs consacrés aux Seventies déceptives (Une expérience américaine du chaos : Massacre à la tronçonneuse, Le cinéma américain des années 70). C’est donc tout naturellement qu’il interroge cette Amérique tributaire d’un âge d’or, avant que l’espace des possibles ne s’érode suite aux métamorphoses politiques et sociétales.

 

Autant de réminiscences et de points de non‑retour que Michael Mann (Heat, Thief), Tobe Hooper, Jerry Schatzberg (Panique à Needle Park), Peter Bogdanovitch (La cible, La dernière séance), Bob Rafelson (Head, Five Easy Pieces) exposent, tandis que d’autres points de vue ‑des pro‑Trump aux anonymes déçus‑ se succèdent à la merci d’une route dense, éclatée, magnifiquement mélancolique et révélée en Cinémascope.

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Tous publics
Prix : 24,99 €
disponibilité
02/05/2018
image
2.35
HD 1 080p (AVC)
16/9
bande-son
Anglais DTS-HD Master Audio 5.1
sous-titres
Français
10
10
image

Le caractère ultra-référentiel et pointu du film pourra entraîner chez certains l'envie de quitter la route. Seulement, le trip est si beau, les paysages à ce point grandioses, les plans et le montage si bien millimétrés et certaines images tellement glaçantes (un avion qui passe derrière une tour, le trajet en caméra subjective de la limousine de JFK à Dallas avant l'impact final, la vision d'une arme qui nous avait échappée…) qu'ils aimanteront sans nul doute les plus réfractaires. C'est en tout cas le pari du réalisateur qui propose un voyage en Cinémascope de toute beauté.

 

L'utilisation des subtils ralentis, les séquences sans concession (le plan final de 8 minutes), la vibrance des couleurs, la puissance de la lumière et la précision d'enfer de ce master façonnent un écrin aussi cinématographique que possible à ce documentaire pourtant tourné en vidéo. Thoret ne concède rien, sillionne le temps et l'espace, questionne. Une intention rare.

10
10
son

Après une ouverture largement bruyante au volume légèrement et volontairement exagéré, soit un savant montage d’images d’archives aussi psychédéliques qu'épileptiques pour une représentation d'une certaine Amérique pop et binaire, le road-trip peut commencer, bercé par un score qui fait sens avec l'univers du réalisateur et son sujet. Bob Dylan, Jefferson Airplane, Bruce Springsteen, Simon & Garfunkel, Steppenwolf, Creedence Clearwater Revival, The Allman Brothers Band, Sam Cooke, Tangerine Dream par F.D Project… on plonge dans un ailleurs aussi planant que mélancolique. Enfin, toutes les interviews proposent une limpidité impeccable. Rien à reprocher.

10
10
bonus
- Entretien avec Bob Rafelson (vesion longue) (73')
- Entretien avec Michael Mann (version longue) (33')
- Entretien avec Stephanie Rothman (version longue) (53')
- Memory Road : We Blew it ou requiem pour une Amérique défunte par François Angelier (15')
- Entretien avec Philippe Rouyer (52')
- Commentaire audio de Jean-Baptiste Thoret (137')
- Livret de 100 pages

En préambule de cette section bonus, précisons que Jean-Baptiste Thoret, le réalisateur de ce documentaire aussi pointu que sans doute déroutant pour les non-initiés, est un proche de la réaction depuis une vingtaine d'années (vous pouvez lire nombre de ses critiques dans nos pages). Notre critique de son film est aussi sincère que possible et ne cache en rien l'admiration que nous avons pour son travail, à la fois de critique, d'historien du cinéma et désormais de réalisateur. Mais revenons à cette copieuse section bonus…

 

« La mort de JFK n’était pas une surprise », « Quand on parle du passé (l’assassinat de JFK), il n’y a jamais un seul point de bascule. Plusieurs facteurs sont toujours réunis pour provoquer un changement dans l’attitude des gens ». Bob Rafelson, réalisateur de Five Easy Pieces, et Stephanie Rothman (The Student nurses, The Velvet vampire) reviennent dans le premier entretien sur les prémisses d’une rupture programmée avec les Fifties, dans la mesure où, précisément, les maux de l’Amérique y trouvent leurs origines. À son tour, Michael Mann évoque la césure entre les Fifties (riches et suffisantes) et les années 60 qui marquent l’émergence d’une conscience politique forte, redoublée de questionnements sur la place de l’individu face à un tel tournant. À son retour de Londres en 1972, le réalisateur de Heat monte le road-movie documentaire tourné aux États-Unis 17 Days Down the Line qui résulte de cette impulsion nécessaire à l’époque de quitter sa région natale pour s’offrir une expérience singulière mais bien réelle, aux antipodes de quelque projection virtuelle d’aujourd’hui (il évoque le côté fake de Facebook)…


Un peu plus loin, le journaliste de France Culture François Angelier a pioché parmi quelques plans du film dans lesquels transparaissent ou se cachent les aspérités de l’Amérique. De cette route qui s’ouvre à de multiples trajectoires (et d’interprétations) aux paysages désertés qui semblent avoir aspiré l’horreur dans un hors-champ temporel (le Spahn Ranch de la famille Manson par exemple), son analyse d’image pointilleuse confine délicatement à la prose hallucinée.


Enfin, Philippe Rouyer (critique de cinéma) et Jean-Baptiste Thoret se renvoient la balle cinéphilique à travers un entretien jalonné de références cinématographiques et de pistes historiques mais par-dessus tout imprégné d’une vision sensible et éclairée du cinéma, à jamais miroir de son époque.

 

À ne pas rater bien évidemment, le généreux commentaire audio du réalisateur dont le parti pris formel et inspiré a permis de magnifiques portraits (humains, géographiques, historiques). Pédago et captivantes, ses réflexions critiques et esthétiques sont une merveilleuse façon de prolonger le voyage.

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