Le jour où Dieu est parti en voyage
Rwanda, avril 1994. Jacqueline (Ruth Nirere) travaille en tant que nourrice au sein d’une famille d’expatriés belges. Alors que commence le génocide des Tutsis par les Hutus, ses employeurs fuient, la cachant dans le faux plafond de leur maison, promettant de revenir la chercher. Après leur départ, des Hutus ne tardent pas à investir la demeure. Tapie dans l’ombre, silencieuse, elle attend. Profitant de leur absence, elle s’échappe de sa cachette pour retrouver ses enfants. Mais elle ne découvre que leur corps sans vie. Chassée comme un animal sans défense, elle trouve refuge dans la forêt. Là, elle découvre un homme gravement blessé (Afazali Dewaele), qu’elle va soigner tant bien que mal.
Directeur photo de La vie de Jésus de Bruno Dumont, cinéaste du réalisme cru, Philippe Van Leeuw emprunte la même voie que son confrère pour traduire l’horreur du génocide rwandais. Pour illustrer cet épisode sanglant, le réalisateur belge choisit la petite histoire pour évoquer la grande, se concentrant sur le sort tragique d’une survivante pour traduire l’incompréhension qu’une victime peut ressentir à l’égard de ses tortionnaires, ici représentés comme des prédateurs aux instincts primaires (voir ce superbe plan où la victime est pourchassée par son bourreau à l’allure féline).
Toutefois, et même s’il s’agit de cinéma réaliste, le metteur en scène ne confronte que rarement le spectateur à la violence, évitant ainsi tout voyeurisme. Anti‑spectaculaire, son film est étrangement calme et lent, tenant à l’écart son duo de rescapés comme pour mieux montrer comment des martyrs peuvent se reconstruire, même après l’abjection ultime. La réponse ne sera pas la même pour tous, chacun choisissant sa propre issue dans ce chaos dépourvu de règles et de valeurs humaines. Préférant l’économie de moyens et l’épure aux démonstrations techniques, didactiques et explicites, Philippe Van Leeuw se fait le chantre d’un cinéma naturaliste où la survie n’est possible que si l’homme préfère la loi de la jungle et l’individualisme au respect de la vie de l’autre.
Ceux qui espéraient un film plus explicatif et moins sensoriel risquent de déchanter, Le jour où Dieu est parti en voyage, quasiment muet, reposant uniquement sur sa description prosaïque de la souffrance, la survie et la solitude. La majeure partie des scènes, plans fixes conclus par un fondu au noir, montre en effet les deux miraculés tentant de se soigner, se nourrir, se cacher, chasser, dormir. Amer retour aux sources où la jungle, véritable enfer vert, envahit littéralement ses hôtes (le vert de la végétation « déteint » subtilement sur la peau et les cheveux des survivants), ce film brille par ses non‑dits, et surtout, par son portrait de femme qui refuse tout compromis.