par Laurence Mijoin
04 juin 2012 - 11h16

La gueule de l'emploi

année
2011
Réalisateur
Interprèteaucun
éditeur
genre
notes
critique
8
10
label
A

Dix candidats. Neuf hommes et une femme. Deux jours. Quatre jurés. Un maître de cérémonie. Pourtant, pas de nouvelle émission de téléréalité. Juste un documentaire à la forme épurée, dont l'objectif est simplement de dévoiler les coulisses d'un entretien d'embauche collectif. Cette intrusion indispensable dans cet univers aux codes étranges fait plus que lever le voile sur les dérives d'un système : elle révèle au spectateur effaré les limites de l'être humain plongé en milieu hostile. Force est de constater qu'il n'en a pas beaucoup.

Ainsi, au‑delà des séquences montrant des candidats infantilisés, manipulés, humiliés, montés les uns contre les autres par un chasseur de têtes et un jury de recruteurs, et dévoilant l'absurdité d'un système de recrutement qui fonctionne à l'encontre de toute logique (les candidats ne savent pas pour quel type de poste ils sont convoqués, leurs CV ne seront consultés qu'à l'issue de ces deux jours…), il faut voir La gueule de l'emploi comme la preuve filmée d'une expérience sociologique où les candidats ne sont que des cobayes. Avec, évidemment, des prédateurs et des proies, des forts et des faibles qui vont, au choix, affirmer leur supériorité par la force, se laisser écraser ou quitter ce jeu perfide pour préserver leur santé mentale.

Deux seulement partiront. Les autres poursuivront, la plupart pas dupes (ils s'en expliquent seuls, face caméra, ce qui fait l'objet d'inserts dans le doc). Tous par nécessité de trouver un travail, mais certains plus que d'autres avides de prouver qu'ils peuvent aller au bout du processus. Atteindre le sommet de la chaîne alimentaire.

Ce recrutement collectif, aux pratiques plus que douteuses (mais que réfutent Gan Prévoyance et le cabinet de recrutement RST Conseil, dont l'image a été fortement égratignée suite au buzz déclenché par le doc), dépasse le cadre initial du monde cruel de l'entreprise pour symboliser l'ensemble de notre société, régie par l'individualisme et la quête de pouvoir. Au cours de cette confrontation digne d'un combat d'arène naissent des comportements, des personnalités, des profils. On se surprend à deviner l'issue du match, à parier sur les vainqueurs potentiels. Surtout, on se demande jusqu'où pourrait aller la soumission.

Enfin, quand on apprend ‑attention spoiler‑ que l'eldorado promis n'est autre que le Smic (plus d'hypothétiques primes…), on se prend à rêver d'une adaptation en téléréalité de L'île des esclaves de Marivaux. Pour, une fois, inverser les rôles.

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dvd
cover
Tous publics
Prix : 14,99 €
disponibilité
04/04/2012
image
1.85
SD 576i (Mpeg2)
16/9 compatible 4/3
bande-son
Français Dolby Digital 2.0
sous-titres
Français pour sourds et malentendants
7
10
image
Compte tenu des conditions de prises de vues (le réalisateur explique que tout le documentaire devait être tourné sur les deux jours de recrutement, ce qui a imposé un rythme soutenu à l'équipe technique), le résultat obtenu est tout à fait correct. On note très peu de problèmes de mise au point. Une gageure restituée par cette édition DVD, qui offre une image aux contrastes soutenus, aux noirs profonds, au fourmillement relativement discret et à la définition appréciable.
7
10
son
On n'attendait évidemment pas de cette édition des débauches d'effets sonores, l'objectif étant avant tout de délivrer des voix intelligibles, ce qui n'était pas forcément gagné d'avance compte tenu des difficultés de prises de son inhérentes au tournage. Cette piste Dolby Digital 2.0, qui propose des sous-titres pour sourds et malentendants, remplit son office, à savoir garantir un bon confort d'écoute pour ne pas perdre une miette des dialogues des candidats et des recruteurs.
5
10
bonus
- Interview de Vincent de Gaulejac, sociologue (18')
- Interview de Didier Cros, réalisateur (11')
- Autre version de la séquence « Introduction » (3')
- Première version de la séquence « Pause déjeuner » (2')
Cette édition DVD propose deux interviews qui apportent chacune des informations sur le documentaire. Tout d'abord sur sa forme via l'interview de son réalisateur, Didier Cros, qui explique les contraintes de tournage d'un tel doc : obligation de tout mettre en boîte en deux jours pour capter l'intégralité de l'entretien d'embauche collectif, prises de vues en multicaméras pour ne rien rater des propos des candidats… Ensuite sur son fond grâce à l'interview du sociologue Vincent de Gaulejac, qui décrit avec beaucoup de justesse le procédé et ses dangereuses conséquences pour certains « participants », évoquant notamment le problème des dépressions. Pour lui, la lutte des places a remplacé la lutte des classes. Chacun doit donc jouer des coudes pour se tailler la part du lion. Le sociologue parle également de l'absurdité du processus, qui ne privilégie pas le parcours professionnel du candidat (l'examen du CV est relégué en dernière partie de l'entretien), mais sa personnalité. Ainsi, on n'est pas jugé pour ce que l'on sait faire, mais pour ce que l'on est. La déception n'en est que plus grande et violente. Les deux autres petits modules proposent d'autres versions des séquences d'introduction et de la pause déjeuner. On en retiendra cette petite phrase, prononcée par le responsable du cabinet de recrutement, qui résume bien l'esprit de cet entretien et des gens qui le conduisent : « Le talent pour le talent, c'est comme l'art pour l'art, ça ne sert à rien ». À méditer…
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