La gueule de l'emploi
Dix candidats. Neuf hommes et une femme. Deux jours. Quatre jurés. Un maître de cérémonie. Pourtant, pas de nouvelle émission de téléréalité. Juste un documentaire à la forme épurée, dont l'objectif est simplement de dévoiler les coulisses d'un entretien d'embauche collectif. Cette intrusion indispensable dans cet univers aux codes étranges fait plus que lever le voile sur les dérives d'un système : elle révèle au spectateur effaré les limites de l'être humain plongé en milieu hostile. Force est de constater qu'il n'en a pas beaucoup.
Ainsi, au‑delà des séquences montrant des candidats infantilisés, manipulés, humiliés, montés les uns contre les autres par un chasseur de têtes et un jury de recruteurs, et dévoilant l'absurdité d'un système de recrutement qui fonctionne à l'encontre de toute logique (les candidats ne savent pas pour quel type de poste ils sont convoqués, leurs CV ne seront consultés qu'à l'issue de ces deux jours…), il faut voir La gueule de l'emploi comme la preuve filmée d'une expérience sociologique où les candidats ne sont que des cobayes. Avec, évidemment, des prédateurs et des proies, des forts et des faibles qui vont, au choix, affirmer leur supériorité par la force, se laisser écraser ou quitter ce jeu perfide pour préserver leur santé mentale.
Deux seulement partiront. Les autres poursuivront, la plupart pas dupes (ils s'en expliquent seuls, face caméra, ce qui fait l'objet d'inserts dans le doc). Tous par nécessité de trouver un travail, mais certains plus que d'autres avides de prouver qu'ils peuvent aller au bout du processus. Atteindre le sommet de la chaîne alimentaire.
Ce recrutement collectif, aux pratiques plus que douteuses (mais que réfutent Gan Prévoyance et le cabinet de recrutement RST Conseil, dont l'image a été fortement égratignée suite au buzz déclenché par le doc), dépasse le cadre initial du monde cruel de l'entreprise pour symboliser l'ensemble de notre société, régie par l'individualisme et la quête de pouvoir. Au cours de cette confrontation digne d'un combat d'arène naissent des comportements, des personnalités, des profils. On se surprend à deviner l'issue du match, à parier sur les vainqueurs potentiels. Surtout, on se demande jusqu'où pourrait aller la soumission.
Enfin, quand on apprend ‑attention spoiler‑ que l'eldorado promis n'est autre que le Smic (plus d'hypothétiques primes…), on se prend à rêver d'une adaptation en téléréalité de L'île des esclaves de Marivaux. Pour, une fois, inverser les rôles.