The Ambassador
Le Danois Mads Brügger est un spécimen rare. Journaliste et réalisateur de documentaires produits par Zentropa, la société du trublion Lars von Trier (Melancholia), il a imposé en deux documentaires son style et ses méthodes pas très orthodoxes, approche hybride mêlant l'audace d'un Michael Moore ‑en moins manichéen‑, l'humour sarcastique, la folie et l'immersion totale du gonzo Hunter S. Thompson ‑en plus clean‑ et l'egotrip irrévérencieux et outrancier d'un Sacha Baron Cohen (Borat) ‑en plus vrai.
Son « truc » ? S'imaginer un personnage, une nouvelle identité, pour pénétrer incognito un pays et en montrer la dure réalité, quitte à agir lui‑même de manière douteuse. Un procédé iconoclaste dont on peut questionner la déontologie, mais aussi un vrai travail journalistique nécessitant une bonne dose de courage, voire un peu d'inconscience. Après The Red Chapel, en 2009, pour lequel il s'était infiltré en Corée du Nord dans le cadre d'un faux échange culturel pour révéler la réalité de cette dictature, il est reparti sur le terrain, cette fois en Centrafrique, prenant encore plus de risques pour montrer le vrai visage de la corruption et les ravages du post‑colonialisme.
Pour ce faire, le documentariste, connaissant l'existence de ventes, par des Occidentaux, de titres diplomatiques de pays ruinés du Tiers Monde, s'est créé, contre la somme de 135 000 dollars, une identité de diplomate libérien en Centrafrique. Un pays au sous‑sol très riche (cobalt, diamant, cuivre, fer, uranium...) mais plongé dans le chaos, où Mads Brügger, alias Mads Cortzen, va infiltrer le business du diamant. Mais pour agir dans l'ombre, il lui faut une couverture, une activité « officielle ». Une fabrique d'allumettes fera l'affaire.
Bottes de cavalier, porte‑cigarette au bec et lunettes d'aviateur, Mads Brügger s'invente un personnage de diplomate volontairement outrancier, cupide, mégalo et raciste, un procédé qui va lui permettre de mettre à l'aise ses interlocuteurs, de leur faire dire des choses qu'ils n'auraient pas osé prononcer face à une personne « normale » ‑un journaliste à découvert, par exemple.
Ainsi, Guy‑Jean Le Foll Yamandé, chef de la sécurité de la République centrafricaine et accessoirement ancien légionnaire français, inculpé par la France pour mercenariat (assassiné peu après le tournage), lui parle du rôle de l'Hexagone, qui, dit‑il, « considère la République centrafricaine comme son livret de caisse d'épargne » et qui a contribué à la déchéance du pays après la chute de Bokassa. De même, le consul de l'Inde à Bangui, Pankaj G. Tewani, « qui mêle affaires et diplomatie d'une manière peu orthodoxe » selon Brügger, évoque le danger qu'encourent les diamantaires occidentaux.
Il ressort de ce doc des scènes surréalistes, comme ces Pygmées dansant après avoir bu du vin rouge tord‑boyaux distribué par un ministre, accompagnés d'un bondissant et cynique Cortzen/Brügger, ou encore la visite de la mine de diamants ‑où l'on peut voir des enfants travailler‑ située dans une zone dangereuse près du Soudan.
Mais surtout, après avoir digéré ces images, ces rencontres entre personnes interlopes mêlant politique et business, on reste estomaqués par ce pays ruiné, sans loi, où les plus malins peuvent s'enrichir sur le dos des plus faibles (les enfants de la mine, les Pygmées, ces hommes et femmes tentant de subvenir honnêtement à leurs besoins), territoire victime de l'Occident et, notamment, de la Françafrique. Rien que l'on ne savait déjà ‑en théorie‑, mais que Brügger révèle au grand jour. Amer.