par Laurence Mijoin
07 novembre 2013 - 10h30

The Ambassador

année
2011
Réalisateur
AvecMads Brügger, Colin Evans, Willem Tijssen, Gino Giulliani, Dalkia Gilbert, Guy-Jean Le Foll Yamandé
éditeur
genre
notes
critique
8
10
label
A

Le Danois Mads Brügger est un spécimen rare. Journaliste et réalisateur de documentaires produits par Zentropa, la société du trublion Lars von Trier (Melancholia), il a imposé en deux documentaires son style et ses méthodes pas très orthodoxes, approche hybride mêlant l'audace d'un Michael Moore ‑en moins manichéen‑, l'humour sarcastique, la folie et l'immersion totale du gonzo Hunter S. Thompson ‑en plus clean‑ et l'egotrip irrévérencieux et outrancier d'un Sacha Baron Cohen (Borat) ‑en plus vrai.

Son « truc » ? S'imaginer un personnage, une nouvelle identité, pour pénétrer incognito un pays et en montrer la dure réalité, quitte à agir lui‑même de manière douteuse. Un procédé iconoclaste dont on peut questionner la déontologie, mais aussi un vrai travail journalistique nécessitant une bonne dose de courage, voire un peu d'inconscience. Après The Red Chapel, en 2009, pour lequel il s'était infiltré en Corée du Nord dans le cadre d'un faux échange culturel pour révéler la réalité de cette dictature, il est reparti sur le terrain, cette fois en Centrafrique, prenant encore plus de risques pour montrer le vrai visage de la corruption et les ravages du post‑colonialisme.

Pour ce faire, le documentariste, connaissant l'existence de ventes, par des Occidentaux, de titres diplomatiques de pays ruinés du Tiers Monde, s'est créé, contre la somme de 135 000 dollars, une identité de diplomate libérien en Centrafrique. Un pays au sous‑sol très riche (cobalt, diamant, cuivre, fer, uranium...) mais plongé dans le chaos, où Mads Brügger, alias Mads Cortzen, va infiltrer le business du diamant. Mais pour agir dans l'ombre, il lui faut une couverture, une activité « officielle ». Une fabrique d'allumettes fera l'affaire.

Bottes de cavalier, porte‑cigarette au bec et lunettes d'aviateur, Mads Brügger s'invente un personnage de diplomate volontairement outrancier, cupide, mégalo et raciste, un procédé qui va lui permettre de mettre à l'aise ses interlocuteurs, de leur faire dire des choses qu'ils n'auraient pas osé prononcer face à une personne « normale » ‑un journaliste à découvert, par exemple.

Ainsi, Guy‑Jean Le Foll Yamandé, chef de la sécurité de la République centrafricaine et accessoirement ancien légionnaire français, inculpé par la France pour mercenariat (assassiné peu après le tournage), lui parle du rôle de l'Hexagone, qui, dit‑il, « considère la République centrafricaine comme son livret de caisse d'épargne » et qui a contribué à la déchéance du pays après la chute de Bokassa. De même, le consul de l'Inde à Bangui, Pankaj G. Tewani, « qui mêle affaires et diplomatie d'une manière peu orthodoxe » selon Brügger, évoque le danger qu'encourent les diamantaires occidentaux.

Il ressort de ce doc des scènes surréalistes, comme ces Pygmées dansant après avoir bu du vin rouge tord‑boyaux distribué par un ministre, accompagnés d'un bondissant et cynique Cortzen/Brügger, ou encore la visite de la mine de diamants ‑où l'on peut voir des enfants travailler‑ située dans une zone dangereuse près du Soudan.

Mais surtout, après avoir digéré ces images, ces rencontres entre personnes interlopes mêlant politique et business, on reste estomaqués par ce pays ruiné, sans loi, où les plus malins peuvent s'enrichir sur le dos des plus faibles (les enfants de la mine, les Pygmées, ces hommes et femmes tentant de subvenir honnêtement à leurs besoins), territoire victime de l'Occident et, notamment, de la Françafrique. Rien que l'on ne savait déjà ‑en théorie‑, mais que Brügger révèle au grand jour. Amer.

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dvd
cover
Tous publics
Prix : 16,99 €
disponibilité
04/09/2013
image
1.77
SD 576i (Mpeg2)
16/9 compatible 4/3
bande-son
Anglais Dolby Digital 5.1
sous-titres
Français, français pour sourds et malentendants
7
10
image
Caméra cachée et images d'archives composent ce documentaire dont la qualité des prises de vues diffère grandement en fonction des situations. Globalement, les plans fixes en pleine lumière présentent une définition correcte, tandis que certains plans nocturnes s'avèrent instables. Si la qualité de l'édition dépend grandement de la source des captations, on peut saluer cette copie pour ses belles couleurs, vives et profondes, durant les séquences les plus claires, et un bon niveau de détail.
7
10
son
L'important dans un tel dispositif est d'entendre parfaitement tous les interlocuteurs, quelles que soient les conditions de prises de son. Ici, aucun problème à déplorer, le commentaire de Brügger étant parfaitement mis en avant, et les propos des personnes qu'il filme assez intelligibles dans l'ensemble.
5
10
bonus
- Interview de Florence Aubenas, grand reporter, et de Christophe Châtelot, chef du service international du journal Le Monde (20')
Florence Aubenas et Christophe Châtelot donnent leur point de vue de journalistes à propos de The Ambassador, la première estimant que sans ce procédé d'immersion totale, Brügger n'aurait pas pu obtenir autant d'informations sans se mettre plus en danger ; le second pensant que les limites de la déontologie sont parfois franchies et ne sont pas sans conséquences. En effet, que penser de ces hommes et femmes à qui Brügger a fait croire qu'ils pourraient travailler dans l'usine d'allumettes, projet bidon qui ne verra jamais le jour. Une réflexion à deux voix très intéressante sur le métier de journaliste, son évolution, ses méthodes parfois discutables, mais aussi les risques terribles qu'encourent les reporters sur le terrain. La sinistre actualité récente vient encore de le prouver.
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