par Émilien Villeroy
19 novembre 2021 - 17h39

Orelsan : Montre jamais ça à personne

année
2021
Réalisateur
InterprètesOrelsan, Skread, Ablaye, Gringe
plateforme
genre
notes
critique
7
10
label
A

Voilà ce qui arrive quand on croit fort en son grand frère et qu’on décide de le filmer continuellement, persuadé qu’il deviendra une star : vingt ans plus tard, on peut reprendre ses journées entières d’archives tournées avec sa petite caméra DV et en tirer une série documentaire de six épisodes pour Amazon Prime.

 

Retraçant de manière exhaustive et intimiste la carrière du rappeur français depuis ses débuts les plus modestes jusqu’à la gloire, Orelsan : Montre jamais ça à personne est une impressionnante réussite, une grande fresque fabriquée avec tendresse par son frère Clément Cotentin, et surtout une belle déclaration d’amour fraternelle.

 

Être des stars, un jour

Un documentaire de ce type est un fantasme pour les fans de n’importe quel groupe ou artiste, tant il déborde d’archives improbables qui donnent à voir ce qu’il y a peut‑être de plus rare dans l’exercice biographique filmé : les premières compositions un peu ratées, l’atmosphère au sortir de l’adolescence, les rêves de gloire qui se dessinent derrière le comptoir d’un job alimentaire. Le genre de chose et d'instants perdus avec le temps, jamais documentés, car il n’y a souvent personne à ce moment‑là pour capter avec assiduité ce qui n’est alors qu’une bande de gamins, comme il en existe tant d’autres, qui voudraient bien être des stars, un jour.

 

Et quand Clément Cotentin décide d’aller traîner dans l’appartement de son frère à Caen au début des années 2000 avec sa caméra, ce n’est pas Orelsan qu’il filme, mais seulement Aurélien Cotentin, un apprenti rappeur un peu glandeur qui passe ses journées à s’amuser avec ses potes et jouer à la console, tout en enregistrant un morceau de temps à autre. Autour de lui, quelques noms apparaissent déjà : un jeune producteur taciturne du nom de Skread, un pote assez doué en impro mais avec un sacré poil dans la main dénommé Gringe.

 

Une véritable capsule temporelle

Une clique de blancs‑becs que le documentaire nous présente dans son jus normand au cours des deux premiers épisodes de la série, assurément les plus intéressants, et qui auront, pour une partie des spectateurs de la génération d’Orelsan, l’effet d’une véritable capsule temporelle dans ce que pouvaient être les années lycée/fac dans les années 2000 : vêtements de sport un peu craignos, coupes de cheveux ingrates, chambres à coucher éclairées uniquement par des moniteurs d’ordinateurs même en pleine journée, ambiance alcool pas cher et joints.

 

Il est toujours amusant de voir que les grands noms de la pop viennent parfois aussi de là, de la banalité tranquille de la jeunesse, mais rares sont les documentaires qui peuvent à ce point faire renaître ces années d’apprentissage dans toute leur paresse et leur désinvolture. Et pour les acteurs de cette page d’histoire, que Clément Cotentin interroge en interview vingt ans après (Skread, Ablaye, Gringe et… Orelsan !) en leur montrant parfois quelques croustillantes archives, c'est comme retomber sur un monde révolu mais duquel ils viennent tous. Avec le sourire, et parfois un peu de gêne.

 

Skread, celui par qui tout est arrivé

Comment donc cette bande‑là a‑t‑elle réussi à sortir de sa piaule enfumée de Caen ? Pour cela, il faudra se tourner vers Skread, le premier de la bande à se faire en nom en produisant des instrus pour Booba et Diam’s au début des années 2000 (l’occasion aussi de revivre une certaine page du rap français, convié à la caméra avec des interviews de Soprano, Akhenaton ou Oxmo Puccino). Et c’est lui, ayant pu mettre le pied dans le monde des labels et de l’industrie musicale, qui aura su tenir la porte pour ses petits camarades, et tout particulièrement un Orelsan qui se serait plutôt vu beatmaker avant de passer principalement derrière le micro.

 

Avec un sens du storytelling particulièrement efficace (il faut voir comme le premier épisode se termine sur une participation à une rap battle face au gratin du hip‑hop, sur une musique dramatique à lourds violons), Orelsan : Montre jamais ça à personne détaille la montée de l’artiste étape par étape : les premiers morceaux en ligne, la découverte révolutionnaire de MySpace à l’époque (belle page de nostalgie pour ceux qui ont connu le réseau social), les premiers buzz avec St‑Valentin (dont toute une génération se souviendra encore de son refrain potache), la notoriété qui se développe, la signature chez un label…

 

Les hauts comme les bas

Malgré la voix off légèrement irritante de Clément Cotentin, ayant parfois des intonations de béni‑oui‑oui qui donnent une ambiance de doublage pour mauvaise série sur Disney Channel, le parcours d’Orelsan se suit avec plaisir, avec ses montées, mais aussi ses passages à vide. La série s’arrête ainsi particulièrement sur le drame national créé par le morceau Sale Pute peu après la sortie du premier album d’Orelsan (morceau qui n’était même pas dessus puisque sorti trois ans avant), et qui avait fait parler jusqu’à l’Assemblée nationale, entraînant une cascade d’annulations pour la tournée du rappeur, accusé d’appel à la violence contre les femmes. Le genre de polémique qu’il est difficile de regarder avec le recul sans une certaine sidération, face à ce qui n’était alors qu’une levée de boucliers insensée contre un type rattrapé par un morceau un peu nul, composé quand il essayait de provoquer quelques rires d’effroi sur internet depuis sa chambre. Malgré tout, cette période houleuse aura finalement été bénéfique pour Orelsan qui, tout revanchard, prendra ensuite deux années à revenir, s’associant au vidéaste David Tomaszewski pour s’offrir une image plus léchée, transformant son look à l’occasion, avant de signer Le chant des sirènes, deuxième album qui lui vaudra une Victoire de la musique, avec des tubes bien plus consensuels comme La Terre est ronde.

 

Vers un Orelsan plus serein

Passé ce cap, les derniers épisodes de la série perdent donc de l’intimité si rafraîchissante des débuts pour revenir à un format plus classique de documentaire musical, n’ayant comme Orelsan plus grand‑chose à prouver mais gardant cependant toujours un humour bienvenu de la part des personnes interrogées. Pas de surprise à cela, occupé lui aussi avec sa vie personnelle et professionnelle, Clément Cotentin ne collait alors plus aux basques de son frère à tout moment. Néanmoins, il était encore là dans les moments qui comptent : enregistrements d’albums, concerts importants (ce show au Zenith de Paris en 2012 dont les coulisses révèlent une organisation complètement à l’arrache), et autres moments forts de sa carrière.

 

De quoi garder encore quelques séquences touchantes et rares entre frères, d’un bout à l’autre du monde. Et c’est donc sans déplaisir que l’on suit les étapes suivantes, plus de l’ordre du tour d’honneur : la collaboration avec Gringe pour les Casseurs Flowters, d’abord en album puis à la télévision sur Canal+ et au cinéma, et enfin le retour en 2017 avec La fête est finie. L’image se fige alors un peu sur un Orelsan mature, mainstream, conscient de sa quarantaine approchante, en duo avec des artistes qui flirtent un peu avec la variété (Gims en tête…). Moins divertissant à voir que le looser des débuts, mais sans doute plus serein.

 

Et c’est donc dans un certain sentiment de satisfaction que se termine la série : celui d’avoir documenté vingt années, de l’anonymat aux sommets, et d’avoir relié ces bribes dans une belle histoire musicale. Et attendant la suite, la série teasant sans vergogne lors de son final des chapitres supplémentaires autour de l’enregistrement du quatrième album d’Orelsan, Civilisation, sorti aujourd'hui 19 novembre. De quoi en faire un bel épisode bonus de Noël. Ou peut‑être une deuxième série, si le succès de celle‑ci leur a donné des idées...

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test
streaming
cover
- de 12 ans
disponibilité
15/10/2021
image
Formats d'image divers
HD 1 080p (AVC)
16/9
4/3
bande-son
Dolby Digital Plus 5.1
Audiodescription
sous-titres
Français
7
10
image

On l'aura compris, les images du petit frère Clément Cotentin sont complètement amateurs, avant que le frangin ne grandisse et intègre l'écurie Canal+. Et c'est justement la fraîcheur de ces tonnes d'archives (malheur, quel derushage de fou !) qui les rend si belles à regarder aujourd'hui. Un film de potes qui passe sur Amazon ! Dingue.

7
10
son

Là encore, les prises de son directes et autres déclarations des uns et des autres face caméra (ou même hors-champs) sont autant d'occasions de capter l'ambiance de l'époque, dans la petite piaule de Caen à aux coulisses survoltées du fameux Zénith de Paris. Quelques extraits de concerts par ailleurs et entretiens récents plus pausés. Basique, simple.

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10
bonus
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