A House of Dynamite
Dans le monde encore très masculin de la réalisation, peu de noms de femmes imposent autant le respect et l’intérêt instantané que celui de Kathryn Bigelow. Surtout connue pour les multirécompensés Démineurs et Zero Dark Thirty, l'Américaine est officiellement scrutée quand il est question de mêler récits militaires et thriller efficace. Pas de sortie au cinéma malheureusement cette fois pour A House of Dynamite, disponible en streaming sur Netflix, ni d’inspiration du réel. Quoique.
Le film s’intéresse à un événement qui, étant donné la situation toujours plus volatile de la géopolitique mondiale, pourrait bien finir par avoir lieu : un groupe de responsables de la Maison Blanche doit faire face à une attaque de missiles imminente contre les États‑Unis. En un peu moins de 2 heures de film, militaires, haut gradés du gouvernement et autres instances défilent pour tenter de comprendre et de gérer la crise alors que le temps défile à toute vitesse.
Exposition nucléaire façon Bigelow
Inactive depuis son révoltant Detroit en 2017, Kathryn Bigelow signe ici un film absolument haletant, où on ne voit pas le temps passer. Pour y parvenir, la réalisatrice recourt à une astuce de narration et de montage au départ frustrante, mais finalement très maline. Sans la dévoiler, cette technique permet tout d’abord de dynamiser l’ensemble et d’encaisser les nombreuses phases éprouvantes en glissant quelques moments nécessaires pour souffler. Mais elle permet surtout d’insérer intelligemment et de manière digeste un grand nombre de personnages et de points de vue, d'acronymes complexes et d’informations.
Sans cette manière de raconter et de monter son histoire, finalement assez courte, A House of Dynamite serait un thriller/documentaire (la volonté de réalisme et d’immersion est flagrante et impressionnante, comme les précédents films de la réalisatrice) plutôt lamba. La musique de Volker Bertelmann, faite quasi exclusivement de cordes torturées, est elle aussi très classique mais diablement efficace. La mise en scène très resserrée est également à saluer, avec des plans toujours à hauteur de visages décomposés ou de mains qui tremblent, permettant de renforcer encore un peu plus le drame en train de se jouer par écrans ou téléphones interposés, et ce sans trop verser dans le pathos.
La réussite du film tient aussi d’ailleurs dans son incroyable casting, où personne ne prend plus de place que l'autre. Entre Rebecca Fergusson, Idris Elba (ici Président, après avoir incarné le premier Ministre anglais dans le divertissant Heads of State), Gabriel Basso, Jared Harris ou encore Tracy Letts pour n’en citer qu’une poignée, le charisme et le talent sont omniprésents, et tout le monde a son importance. Tous ces personnages, dont la vie personnelle prend juste ce qu’il faut de place pour un peu d’épaisseur et d’humanité, sont entraînés pour gérer une telle crise. Mais quand la réalité arrive, difficile de ne pas s’effondrer.

© Eros Hoagland / Netflix
Dynamite des fluides
Cependant, A House of Dynamite n’est pas parfait et va assurément diviser, au‑delà de cette question de la narration. Tout d’abord, impossible de ne pas évoquer sans trop en dire la fin du film, qui risque de décevoir bien des spectateurs. Certains pourraient argumenter que ce n’est pas la fin du voyage qui compte ici, mais le trajet. Malheureusement, si ce dernier est effectivement très efficace du côté du divertissement, contrairement à Zero Dark Thirty notamment, A House of Dynamite ne raconte à première vue pas grand‑chose.
Seule la question ‑assurément pas mineure‑ de la dissuasion et de la vengeance nucléaire déshumanisée est réellement évoquée, mais tardivement et sans jamais prendre parti, laissant volontairement le spectateur se faire sa propre opinion. Le film ne fait presque que montrer, certes avec brio, comment un pays gère un événement catastrophique à grand renfort de protocoles. On pourrait éventuellement relever à quel point les États‑Unis du film, visiblement fonctionnels, restent impuissants à répondre à la crise, et imaginer ce qu’il en serait avec le pays dans l’état où il se trouve actuellement dans notre réalité. Une mise en garde ? Sans doute.
A House of Dynamite est au final un véritable modèle de thriller, aussi tendu que réaliste. Impossible de ne pas être emporté par la tornade des événements et des personnages en quête de réponses et peinant à savoir comment réagir. Il ne faudra cependant pas en attendre beaucoup plus sur le fond, et c’est dommage. Cela ne l’empêchera probablement pas de marquer les esprits, mais un engagement plus marqué aurait pu lui permettre de devenir véritablement culte.