La femme la plus riche du monde
Un écrivain‑photographe se rapproche de la femme la plus riche du monde qui s’ennuie dans son existence. Son grain de folie aidant, il arrive à lui soutirer des millions sous les yeux incrédules de sa fille et de son majordome. Toute ressemblance avec une histoire vraie…
Parce que je le vaux bien
Vous avez aimé la série documentaire Netflix sur l’affaire Bettencourt (Chez la femme la plus riche du monde) ? Vous allez adorer le film de Thierry Klifa, qui la transpose à l’écran avec son regard malicieux et la complicité d’un casting hors pair. Cerise sur le gâteau, le film se permet même de reprendre certains codes du documentaire. Mais nous n’en dirons pas plus.
Présenté hors compétition (on se demande bien pourquoi pas en compétition) au Festival de Cannes 2025, La femme la plus riche du monde est un jeu de massacre réjouissant, du début à la fin. Il faut dire que le matériau de base est, à lui seul, extraordinaire. On dit souvent que la fiction dépasse la réalité : l’affaire Bettencourt le prouve au centuple. On parle tout de même de ce sordide fait divers qui a vu, il y a quelques années, Françoise Bettencourt Meyers (fille de Liliane Bettencourt, héritière du fondateur de L’Oréal), attaquer l’écrivain et photographe François‑Marie Banier pour abus de faiblesse. Celui-ci aurait reçu pour plus d’un milliard (sic !) de cadeaux.
Portraits crachés
Laurent Lafitte est tout bonnement génial en bouffon pique‑assiette insupportable. Il en fait des caisses dans le rôle du flamboyant Fantin, l’escroc inspiré de Banier, et c’est jubilatoire. L’excès de son jeu allant de pair avec celui de son personnage, tellement hors normes. Roi de la punchline perfide, il faut le voir humilier sans cesse ce pauvre Raphaël Personnaz, pisser dans le parterre de fleurs et insulter sans ménagement le mari de sa mécène. On adore le détester durant les 2 heures du film. Il faut dire qu’il explose l’ultrarichissime bourgeoisie, et son attitude a rapidement quelque chose d’assez cathartique pour le spectateur, qui en redemande.

© Domniki Mitropoulo
Car face à lui, la femme la plus riche du monde est carrément à l’ouest. Sublimement campée par une Isabelle Huppert au mieux de son jeu (elle compose son personnage et ne fait pas du Huppert), il faut la voir offrir à son petit‑fils « son premier million » pour sa bar‑mitzvah, histoire de voir s’il sait gérer son argent, ou s’étonner qu’il faille mettre une pièce dans un distributeur pour avoir un café.
L’actrice arrive à rendre humaine Liliane Bettencourt (ici appelée Marianne Farrère), la femme la plus riche du monde. Mieux, elle parvient à susciter l’empathie du spectateur en montrant la fragilité et la solitude d’une femme que le pouvoir et l’argent n’intéressent plus vraiment. Prête même à dépenser des millions pour un bouffon avec lequel elle arrive à trouver une nouvelle jeunesse. Ironique, quand on sait que son empire est bâti sur des produits censés limiter les affres du temps.
Argent trop cher
On ne sait pas quelle est la part de vérité dans le film. L’héritière allait‑elle vraiment en boîte avec son photographe ? Était‑il aussi sans‑gêne et intouchable ? Qu’importe… Le réalisateur nous offre un portrait drôle et acerbe d’une famille hautement dysfonctionnelle, dont l’équilibre vacille quand elle est court‑circuitée par un escroc escogriffe de haut vol. Jamais les personnages ne sont jugés, et jamais le film ne tombe dans la caricature facile. Il évite d'ailleurs d'évoquer le côté politique de l'affaire.
Assurément, Thierry Klifa a l’art des dialogues. Si parfois le film tend vers la pièce de théâtre, ce n’est pas si grave puisque c'est une véritable comédie de boulevard, totalement assumée et basée sur une histoire vraie, comme les meilleurs boulevards.
Ici, le sordide se fait léger, la richesse se montre vulgaire et la cruauté bien distrayante. On y trouve des influences de François Ozon et du cinéma italien des années 1970 et au final, beaucoup d’humanité. Chaque personnage court sans cesse après l’amour d’un autre, en espérant que l’argent pourra aider…
Spoiler : l’argent ne fait pas vraiment le bonheur, mais il aide (sans doute) à bien vivre.