Little Jaffna
Little Jaffna, aux alentours du quartier de La Chapelle, dans le nord de la capitale, est le quartier sri‑lankais‑indien de Paris. Michael, jeune policier d'origine tamoule, est chargé d'infiltrer la mafia locale liée à la diaspora sri‑lankaise et au financement des Tigres tamouls. Peu à peu, il est confronté à ses propres origines, à la loyauté et au dilemme moral de sa mission.
Premier film, première claque
Pour le réalisateur Lawrence Valin, Little Jaffna est non seulement sa première réalisation, mais également son premier rôle principal. L’énergie qu’il déploie pour mener à bien son projet est communicative. Présent dans quasiment tous les plans, Lawrence Valin porte son film à bout de bras, entouré d’acteurs pour la plupart non professionnels. Il réussit à nous immerger pleinement dans une communauté encore assez méconnue (et très peu filmée), et nous initie, loin des clichés, peu à peu à sa culture.
Tourné avec une économie de moyens relative, souvent en mode guérilla (avec de nombreux plans « volés » dans la rue), son film est pourtant maîtrisé de bout en bout. À la fois film d’infiltration, polar et leçon d’Histoire géopolitique, il est surtout un véritable film de cinéma qui n’hésite pas à fantasmer ce qu’il décrit pour accroître la puissance cinématographique de son propos.
Visuellement très abouti, Little Jaffna magnifie les couleurs tandis que l’ambiance musicale est aussi omniprésente que la foule et le jasmin. On se croirait transporté en Inde ou au Sri Lanka, alors que l’on est bien en plein Paris. Un Paris imaginaire, bien sûr, mais crédible, à l’instar du Little Italy de Martin Scorsese, une référence évidente, tout comme Little Odessa de James Gray. À l’image de ses pairs, le réalisateur opte pour une caméra nerveuse, tendue, sans cesse en mouvement, comme dans un documentaire où tout serait à moitié vrai, et un peu faux.

© Guy Ferrandis
L'infiltré
Cependant, Lawrence Valin n’est pas encore un aussi bon scénariste. Little Jaffna reste assez classique dans sa construction et le genre du film d’infiltration n’est pas vraiment renouvelé. Qu’importe : le plaisir du film est ailleurs. Le réalisateur ne s’encombre pas d’enjeux émotionnels ni de scènes de suspense haletantes, comme souvent dans les films d’infiltration. Son véritable propos est plus loin.
Car derrière les codes du genre, c’est surtout un film engagé, voire politique, que livre Lawrence Valin. La complexité des diasporas, la guerre au Sri Lanka, la loyauté communautaire et même le post‑colonialisme sont en fait les thèmes majeurs du film. Infiltrés dans une intrigue policière classique, ces sujets finissent prendre le dessus. Et c’est sans doute là que réside la force de Little Jaffna : on y entre comme dans un polar, on en ressort plus conscient du martyre du peuple tamoul.
Malheureusement, également, aussi bon acteur soit Lawrence Valin, il a sans doute subi le poids du réalisateur en lui. Pour son premier film, il a certainement un peu trop négligé le personnage principal qu’il incarne, certes omniprésent à l’écran mais trop mutique et sans véritables enjeux au‑delà de sa mission d’infiltration, qui n’est d’ailleurs pas le cœur du film.
Au final, ce Little Jaffna est la promesse d’un cinéma personnel qui prend le genre à revers pour mieux parler du réel. L’intrigue puis le parfum du jasmin, et le poids des exils silencieux.