Interview
Patrice Leconte - Voir la mer
Rencontre solaire et enchantée avec Patrice Leconte. Normal, il fait du cinéma pour faire rêver. Et nous, cela nous plaît bien…
« Patrice, tu sais, on aimerait bien jouer deux frères, Clément et moi (ou Nicolas et moi) ». C’était plutôt une proposition anodine, légère dans la conversation. Cette idée était restée dans un coin de ma tête. J’aimais bien ces deux types‑là. En plus, je tournais depuis longtemps de manière confuse autour d’une histoire de deux frères. Cela a véritablement constitué le point de départ de Voir la mer.
[qQuel lien faites‑vous entre la romance un peu extravagante des trois personnages et leur désir de route ? normal>Voir la mer de Jules et Jim ou Les valseuses. L’un de ces films a‑t‑il été une référence, ou avez‑vous au contraire éprouvé un désir de vous en émanciper ?[/q
PL : durant la phase d’écriture, je savais très bien qu’on me citerait ces deux films, dans la mesure où ils évoquent une histoire d’amour à trois. Cependant, il y a sûrement plein d’autres exemples. C’est un peu comme si on écrivait une histoire d’amour entre un homme et une femme, et qu’on se disait : « Non, je ne peux pas le faire, ça a déjà été fait »… Bien sûr que tout a déjà été fait. Ce qui compte, ce n’est pas la nouveauté de ce qu’on raconte, mais c’est surtout la nouveauté de comment on le raconte. Selon moi, sincèrement, Voir la mer n’a rien à voir ni avec Les valseuses ni avec Jules et Jim. Rien qu’en prenant en compte la tonalité des sentiments… Je n’ai jamais pensé aux Valseuses en faisant le film, c’est un film que j’aime bien mais qui ne s’inscrit en aucun cas dans son sillage. Pareillement concernant Jules et Jim, qui est un très beau film, que je respecte infiniment.
j’ai toujours trouvé que les femmes qui arrivent dans nos vies s’apparentent à des parachutistes. Autrement dit, c’est comme si ces femmes ou ces personnages féminins, que l’on met en scène, tombaient du ciel. Pas comme des anges (faut pas charrier non plus !), mais comme des présences totalement imprévues. Certes, il s’agit d’une sorte de fantasme personnel. J’aime l’idée qu’un personnage masculin vive sa vie et que brutalement, une femme déboule, à la manière d’un parachutiste. Elle tombe dans son quotidien sans qu’il ne s’y attende et le résultat suscite de l’intérêt. La fille sur le pont en est un exemple probant, Le mari de la coiffeuse également. Ce sont des personnages féminins qui sont précipités dans une histoire, et ceux‑ci sont tellement emballants, inattendus, qu’on a juste envie de les prendre pour ce qu’ils sont. Sans leur poser de questions.
[qIl y a donc Prudence, les deux frères qui forment une sorte d’alliance, puis, comme si vous vouliez importer une difficulté à cette idylle presque enfantine, l’irruption de Max. Qu’apporte son personnage ?normal>Voir la mer est aussi une histoire d’amour à travers champs. Les paysages ruraux, les étendues vertes, l’église et son clocher puis, enfin, la mer (que Prudence n’a jamais vu), ont une grande importance dans le film…[/q
PL : je suis provincial et j’ai beaucoup d’attachement pour la province. Les grandes villes ne m’emballent pas vraiment. Pour raconter ce genre d’histoire, je préfère la tranquillité provinciale, pour ne pas dire campagnarde. Des petites villes, des petits villages, le chemin des écoliers. Si vous devez aller d’un point à un autre, supposons que vous soyez représentant, vous prenez l’autoroute, vous payez le péage, c’est efficace. Point. Mais si vous êtes trois jeunes gens, deux frères et une fille qui s’aiment, eh bien, vous avez plutôt envie de prendre le chemin des écoliers, donc d’emprunter les petites routes, celles qui réservent des surprises au détour d’un chemin. On découvre un paysage, une lumière… J’avais vraiment envie d’évoquer cela, pas du tout dans le but de dépeindre la France profonde, ce n’est pas du tout le but du film, mais de m’immerger simplement dans un paysage normal, à dimension humaine. Le chemin des écoliers, il n’y a pas de meilleure expression.
« Voilà, j’ai gagné le droit de faire l’amour avec vous deux en même temps », je pense qu’au fond, elle n’y tient pas spécialement. C’est de la pure provocation, un moyen de voir leur réaction. Prudence est saine, pas du tout perverse.
[qLe road-movie est un genre spécifiquement américain. Qu’est‑ce que représente un road‑movie à la française pour vous ? ça s’est passé d’une manière assez simple et très idéale. À partir du moment où j’ai commencé à avoir le projet du film, je lui ai dit : « Voilà, je vais arrêter de tourner autour du pot chère Pauline, faisons le film ensemble ». Elle en était très émue. À partir de ce jour, il y a eu entre nous quelque chose d’inestimable : la confiance. On ne peut réussir un film, quel qu’il soit, et surtout un film comme celui-ci, si la confiance est absente. Elle doit aller dans les deux sens, celui des acteurs comme le mien. Pauline m’a confié : « Je suis une débutante, j’espère être à la hauteur, je ferai de mon mieux. Je te fais tout à fait confiance, emmène-moi où tu voudras ». Quand un acteur, une actrice en l’occurrence, vous dit cela, c’est la meilleure solution pour que tout soit joli à l’arrivée. Pauline n’interprète pas ici son propre rôle, mais Prudence n’est pas à l’opposé de ce qu’elle est elle-même. Pauline l’a bien senti, elle a donc joué avec une spontanéité incroyable, sans chercher à faire des manières, en étant le plus elle-même possible. C’est de cette façon que cela a fonctionné. Elle donne un ton juste au film.
[qEt en ce qui concerne les autres acteurs du film, comment avez-vous travaillé afin de créer le lien qui les soude à l’écran ? concernant le cinéma français contemporain, je suis très souvent heureux parce qu’il nous donne des choses inattendues, originales, talentueuses. Il y en a pas mal ces temps‑ci. De temps en temps, il m’arrive aussi de voir des films français contemporain nuls, navrants, qui m’anéantissent et dont je déplore l’existence. Mais d’un autre côté, il m’est très dur de juger, car je suis moi-même un cinéaste français contemporain. Je ne peux pas… Mais penser qu’un film comme le film de Valérie Donzelli La guerre est déclarée soit tourné dans des conditions difficiles, et qu’il ait du succès, m’enchante véritablement. Voilà un exemple qui cloue le bec à bon nombre de producteurs. Il s’agit de projets atypiques, bizarres. Tout d’un coup, ce film existe, il rafle des prix partout, fait des entrées… Les producteurs doivent se poser beaucoup de questions.
[qQuels conseils donneriez-vous à ceux qui aspirent à devenir réalisateur et/ou scénariste ?
PL : de commencer à s’exprimer. Aujourd’hui, beaucoup plus facilement que de mon temps, on peut tourner des petits films en vidéo, les monter à la maison sur son ordinateur. Bien sûr, on ne réalise pas Titanic, mais il est possible de s’exprimer par l’image, de raconter une histoire, d’inventer. C’est assez facile de se confronter à cet exercice, il faut le faire. Tenez, simplement, je conseille assez souvent aux jeunes gens qui veulent faire ce métier de prendre une chanson, un clip qu’ils adorent, et d’y mettre des images. Qu’est‑ce que ce titre évoque ? Il suffit d’imaginer une situation où vous n’aurez pas à écrire de scénario ni de dialogues, mais simplement vous exprimer par l’image. C’est vachement facile à faire si on a des idées et du talent. Pratiquer ce type d’exercice est très important. Quand on sort de la Fémis et que, du jour au lendemain, on fait son premier long métrage, si on n’a jamais tourné un mètre de pellicule, c’est nul. Il y a beaucoup de films tournés par des gens qui n’y connaissent rien, il faut faire attention à cela.

On se souvient de la polémique qu’avait provoqué votre sortie sur une critique de cinéma… Comment avez-vous vécu cet épisode ? Feriez‑vous le même constat, ou bien les choses se sont‑elles améliorées ?
PL : pardon de vous décevoir, mais je ne regrette pas d’avoir ouvert mon clapet à ce moment‑là. Cependant, je ne le referais pas. À l’époque (ça remonte), je ne m’étais pas rendu compte que l’on n’avait pas le droit de critiquer la critique, je n’avais pas compris cela, tout bêtement. Avec le recul, ça m’a fait du bien quand même de m’exprimer, c’est ce qui me permet, aujourd’hui, d’être très détaché de tout cela. Ça m’a servi de leçon, il n’y a aucun danger pour que cela se reproduise. Toutefois, cet épisode relativise beaucoup les choses. Avant, il m’arrivait de lire, de temps à autre, les critiques. Désormais, je n’en lis plus une seule, ni sur mes films ni sur les films des autres. Ce n’est pas que je méprise la critique, mais je n’ai pas très envie de lire ce qu’on écrit sur mes films. On me signale un très bon Télérama ou un mauvais écho, mais de le voir écrit noir sur blanc, ça ne m’attire plus du tout. Ce n’est pas très important et je ne voudrais pas raviver cette vieille querelle.
Par Carole Lépinay • Publié le 21/09/11
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