Lettre à Anna
Le 7 octobre 2006 est retrouvé le corps sans vie d'Anna Politkovskaïa, tuée par balle dans son hall d'immeuble à Moscou. Le jour de l'anniversaire de Vladimir Poutine, président de la Russie. Toute sa vie, la journaliste au Novaïa Gazeta et militante des droits de l'homme a défendu la liberté d'expression, couvrant au péril de sa vie le conflit tchétchène et s'opposant fermement à la politique du gouvernement russe. Après une première tentative d'assassinat par empoisonnement en 2004, alors qu'elle se rendait sur les lieux de la tragique prise d'otages de Beslan, la menace planait toujours sur cette femme qui sentait la mort rôder. Ce 7 octobre arriva ce qu'elle attendait comme une issue inéluctable, avec la force et le calme de ceux qui savent, et le regard des désenchantés.
La force du documentaire d'Éric Bergkraut, c'est de faire revivre Anna Politkovskaïa (que le réalisateur filma entre 2003 et 2004), le temps d'une poignée de minutes. Son décès a poussé Bergkraut à refondre son projet, à réécrire sa partition, y ajoutant les témoignages des enfants de la journaliste, de son ex‑mari, de son rédacteur en chef au Novaïa Gazeta, de sa fidèle amie Zainap Gashaeva, militante tchétchène. Grâce à tous ces éléments et à des images d'archives révélant les exactions perpétrées en Tchétchénie, le documentariste est parvenu à recomposer le portrait d'une femme opiniâtre (à laquelle Catherine Deneuve prête sa voix), endurcie par les épreuves de la vie et d'un courage sans faille, dont les sourires étaient d'autant plus précieux qu'ils se faisaient rares. Un modèle de droiture qui traça avec dignité sa ligne de vie au sein d'une Fédération de Russie qui n'en paraît, en comparaison, que plus tortueuse et sibylline.
Pasionaria qui relégua sa vie privée au second plan ‑rappelant le jusqu’au‑boutisme d'une autre militante, Dian Fossey, qui connut elle aussi un sort tragique‑, Anna Politkovskaïa est montrée ici sans faux‑semblant, entièrement, à l'image de ce qu'elle était et revendiquait. Un document précieux, concis, émouvant mais sans pathos, et qui n'oublie pas de rappeler qu'Anna n'est hélas pas un cas isolé, et que d'autres meurent encore pour avoir osé user de leur liberté d'expression.