Dans tous les débats autour de la potentielle acquisition de Warner Bros. Pictures par Netflix, un point revient en boucle : celui des fenêtres d’exploitation en salles, et de la crainte très concrète que le géant du streaming ne les raccourcisse encore davantage. Et vu l’évolution du marché ces dernières années, comprendre les baisses de fréquention presque partout, dont la France, ce n’est pas une inquiétude déraisonnable.
Petite histoire de la chronologie des médias
Au début des années 2000, l’intervalle standard entre la sortie d’un film en salles aux USA et son arrivée en vidéo tournait autour de 90 jours. Pour beaucoup de titres, notamment sur support physique, cette fenêtre « à l’ancienne » a longtemps servi de référence.
Ce qui a changé la donne, c’est évidemment le numérique. D’abord avec la VOD, puis plus récemment avec l’essor du PVOD, ces offres de location ou d’achat premium -plus chères- qui rendent les films disponibles en ligne très peu de temps après leur sortie cinéma.
Le véritable coup d’accélérateur est venu avec la crise du Covid. En pleine pandémie, un accord conclu entre Universal et les exploitants américains a fait figure de rupture -accord qui reste d’ailleurs en vigueur pour le studio- et a servi de modèle à d’autres. Il permet à Universal de basculer en PVOD les films dont le démarrage en salles reste sous un certain seuil de box-office au bout de seulement 17 jours. Pour les titres plus performants, la fenêtre est fixée à 31 jours.
70% des films US sortiraient en numérique moins de cinq semaines après leur arrivée en salles
Depuis, les schémas de sortie se sont fragmentés d’un studio à l’autre. Disney est celui qui maintient les fenêtres les plus longues, autour de 60 jours, tandis que la plupart des autres majors se sont stabilisées entre 30 et 45 jours. Résultat : la fenêtre médiane d’exploitation en salles s’est littéralement effondrée par rapport à l’ère du tout-physique. On estime aujourd’hui que près de 70% des films sortent en numérique moins de cinq semaines après leur arrivée en salles, et qu’une poignée seulement dépasse les deux mois.
Dans ce paysage déjà ultra compressé, Netflix représente un cas à part. Le streamer s’en tient généralement à une fenêtre de 14 à 21 jours entre une sortie technique en salles (souvent limitée, avec les Oscars en ligne de mire) et la mise en ligne sur sa plateforme, tout en restant un pur service de SVOD sans véritable offre PVOD comparable par exemple à l’éphémère Premier Access de Disney+.
C’est précisément cette culture de la fenêtre ultra-courte qui nourrit les craintes des exploitants à l’idée de voir Netflix mettre la main sur un studio historique comme Warner. Quelle que soit la communication officielle de son patron sur l’intention de « respecter » l’exploitation salle (voir OPA de Paramount sur Warner : Netflix fait comme si de rien n’était !), difficile pour les professionnels de croire qu’un groupe prêt à investir des dizaines de milliards de dollars n’essaiera pas, tôt ou tard, d’aligner les fenêtres Warner sur sa propre logique de streaming.
Netflix, le streaming d’abord ?
Pour le dire autrement : écouter le numéro 1 mondial du streaming jurer, la main sur la télécommande, qu’il va racheter Warner pour des sommes colossales sans toucher aux fenêtres d’exploitation, c’est un peu comme l’histoire du scorpion qui demande à la grenouille de le porter pour traverser la rivière. À la fin, c’est toujours la nature du scorpion qui reprend le dessus. Et dans le cas de Netflix, cette nature, c’est le streaming d’abord.