L'obsession, déjà
Brian De Palma, lui, se lance dans le film maniériste et pose dès son premier « long » (
Murder à la mod en 1968) les jalons thématiques et formels de son œuvre à venir. À travers l’histoire d’un meurtre vu sous trois angles différents,
Murder à la mod dévoile déjà une obsession du voyeurisme, un goût pour la mise en abîme et le dédoublement de personnalité (poussé à l’extrême dans
L’esprit de Caïn, où John Lithgow interprète quatre rôles différents), et enfin un autre de ses grands thèmes : l’horreur de la filiation dont
Carrie est l’exemple le plus abouti.
Auteur et populaire
Au sein du système de production hollywoodien, De Palma occupe donc une position particulière : véritable auteur (l’homme construit depuis plus de quarante ans ans une œuvre parfaitement cohérente et singulière), il est aussi un cinéaste populaire capable de s’approprier un film de commande conçu pour le grand public (
Mission impossible). Fasciné par les multiples possibilités du langage cinématographique (split-screen dans la plupart de ses films, plan-séquence dans
Le bûcher des vanités, dilatation temporelle poussée à l’extrême), il n’est pas une de ses réalisations qui ne contienne une séquence éblouissante et virtuose, proche du morceau de bravoure : la scène du filin dans
Mission impossible, la destruction de la salle de bal dans
Carrie, le meurtre d’Angie Dickinson dans l’ascenseur de
Pulsions, l’ouverture en plan-séquence de
Snake Eyes (sublime), ou encore la terrible torture de Pacino et de son collègue dans
Scarface.
Un genre : le psycho-thriller
Jusqu’à
Body Double en 1984, la plupart des films de De Palma appartiennent au genre psycho-thriller, porté à maturité par Alfred Hitchcock en 1960 avec
Psychose. « Psycho », parce que le meurtrier souffre souvent de troubles psychiques graves ; « thriller » car le héros depalmien est immanquablement une victime potentielle et doit sans cesse faire preuve de son innocence, thème hithcockien par excellence. Même
Scarface, variation écarlate du film homonyme de Howard Hawks (1931), qu’il signe en 1983, vire au psycho-thriller tant son héros, Tony Montana (Al Pacino), est gagné par la paranoïa et fait peser sur ses proches une menace permanente.
Thèmes de prédilection
De 1984 à 1992, Brian De Palma s’éloigne provisoirement du genre, même s’il continue d’approfondir ses thèmes de prédilection.
Il adapte d’abord les aventures « prohibées » d’Elliot Ness (
Les Incorruptibles), donne sa propre version de la guerre du Viêtnam (
Outrages avec Michael J. Fox et Sean Penn), puis porte à l’écran un best-seller de Tom Wolfe (
Le bûcher des vanités avec Tom Hanks, Melanie Griffith et Bruce Willis). À l’exception d’
Outrages et du
Bûcher, tous les films de De Palma se présentent comme des variations de grands classiques du cinéma, en priorité ceux d’Alfred Hitchcock, son maître.
Pulsions et
Obsessions travaillent autour de
Vertigo,
Body Double prend comme point de départ
Fenêtre sur cour, tandis que
Blow Out décalque l’argument initial du
Blow Up de Michelangelo Antonioni (1967). Du cinéaste allemand Fritz Lang, De Palma a surtout retenu l’obsession du contrôle et de la manipulation, qui se traduit par le comportement systématiquement voyeuriste de ses héros, à l’image de ses
bad guys (Swann dans
Phantom of the Paradise, Childress dans
Furie, Travolta dans
Blow Out), versions modernes du Docteur Mabuse.
Le réseau avant l'heure
Une chose est sûre, dans les films de Brian De Palma, les individus ne cessent de se surveiller, de s’épier, via une armada de systèmes de contrôle et de caméras de surveillance. Même Tony Montana dans
Scarface finira ses jours prostré dans un bunker entouré de moniteurs vidéo. Mais depuis l'échec de
Femme fatale (2002), avec Antonio Banderas et Rebecca Romjin, De Palma peine à retrouver son souffle tant ses thèmes de prédilection sont aujourd'hui réels avec cette profusion de réseaux sociaux épieurs. Son dernier film,
Passion, est annoncé dès demain 13 février au cinéma. Un film chaud comme la braise et manipulateur à souhait avec Rachel McAdams et Noomi Rapace.
Jean-Baptiste Thoret - Publié le 12/02/13