Entre SF et film noir
Lorsqu’il entreprend l’adaptation cinématographique de ce pamphlet futuriste, Ridley Scott a le vent en poupe. Il vient de fixer avec
Alien les bases du film d’horreur des décennies à venir et s’apprête avec
Blade Runner à fixer celles du mouvement cyberpunk qui touchera le cinéma mais aussi la BD et la musique (en hommage au film, les Rolling Stones intituleront leur tournée de 1980 Steel Wheels). Difficile aujourd’hui d’imaginer le futur sans songer à l’esthétique de
Blade Runner : rues étouffantes plongées dans une nuit intense, foule bigarrée et grouillante perdue au milieu des néons, immeubles babyloniens et surtout utilisation du clair-obscur dans la lignée expressionniste du
Metropolis de Fritz Lang. À mi-chemin de la SF pure et du film noir (Deckard comme cousin lointain de Philip Marlowe),
Blade Runner apparaît aujourd’hui comme l’ancêtre des
Terminator 2,
Strange Days,
Demolition Man,
Judge Dredd,
Escape from New York,
Dark City et tant d'autres.
Surprises et déconvenues
En 1978, l’acteur Hampton Fancher acquiert les droits du roman de Dick et s’attaque à l’écriture du scénario. Il fait appel au producteur Michael Deeley (auréolé de cinq Oscars pour
Voyage au bout de l’enfer) qui le soumet immédiatement à Ridley Scott, un vieil ami. Embourbé depuis dix-huit mois sur l’adaptation de
Dune de Frank Herbert, Scott saisit l’occasion d’abandonner ce projet qui terminera entre les mains de David Lynch. Mais ce que ne sait pas encore Scott, c’est que la production lui réservera son lot de surprises et de déconvenues : changements de script incessants, dépassements de budget (le film coûtera finalement 30 millions de dollars contre 15 prévus à l’origine) et discussions à n’en plus finir avec Philip K. Dick l'obligeront à modifier la fin (exit l’ambiguïté de la première version, le dernier plan du film montre finalement Deckard et Rachel débarquant sur une terre vierge, promesse d’une vie meilleure).
Mélange de Hong Kong et New York
Dès les premières semaines de production, l’idée de départ qui consiste à transformer Los Angeles version 2019 en une ville glaciaire est abandonnée. Motif : coût trop élevé. La Warner propose alors à Scott d’utiliser une rue de New York reconstituée dans le studio que Coppola avait utilisée pour le Las Vegas de
Coup de cœur. Ce changement de décor oblige l’équipe à reconsidérer entièrement le design futuriste du film. À la neige et au froid, Scott substitue la vision d’une ville tentaculaire plongée dans l’obscurité et la pollution. Le chef déco David Snyder (qui concevra le look de
Retour vers le futur) est appelé à la rescousse. «
La première chose que Ridley fit, ce fut de nous projeter L’âge de Cristal. Il nous a dit : "Vous voyez ces chromes, ces silhouettes courbes, ces façades fleuries... Très joli n’est-ce pas ? Eh bien, je ne veux rien de tout ça pour Blade Runner. Donnez-moi un mélange de Hong Kong et de New York, un jour de grève des transports en commun par temps de pluie !". On avait tout compris ».
Esthétique et inspirations
L’équipe s’inspira du dessinateur industriel Syd Mead dont le travail consistait non pas à inventer la technologie de demain, mais à pousser à bout la logique formelle de celle d’aujourd’hui. Ainsi, le fameux spinner, véhicule capable de rouler et de voler, fut fabriqué à partir de prototypes automobiles de l’époque. Parmi les nombreuses pointures qui travaillèrent sur le design du film, notons enfin Douglas Trumbull (auteur du magnifique
Silent Running en 1972) qui, en plus des effets spéciaux, signa les deux tours pyramidales de Tyrell. Près de trente-cinq ans après sa sortie en salles,
Blade Runner est devenu un classique de la SF dont le message (comment faire preuve de notre humanité ?) continue toujours d’irriguer le cinéma contemporain et de se régénérer (voir le
Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve).
Jean-Baptiste Thoret - Publié le 18/10/17