le 26 septembre 2008 - 18h18

Alanis Obomsawin

Alanis Obomsawim, réalisatrice abénakise, conteuse, chanteuse, présidente du festival Présence Autochtone de Montréal (www.nativelynx.qc.ca, du 11 au 21 juin tous les ans, NDLR), est auteur d’une quarantaine de documentaires témoignant des réalités amérindiennes du Canada, œuvre pour laquelle le Moma de New York lui a consacré une rétrospective en mai 2008.

Par sa fidélité à la tradition amérindienne du récit, le « story telling », elle a su imposer sa volonté de transmettre les luttes des communautés au plus proche de leurs questionnements, afin que ce peuple « invisible » soit entendu, et reconnu.

Et si les excuses publiques du Premier ministre Stephen Harper, le 11 juin 2008, lors de la Commission de Vérité et de Réconciliation, devant des milliers d’Autochtones Canadiens, ont relancé les débats et controverses sur la condition des Autochtones au sein de la société canadienne, elles représentent pour la réalisatrice un premier pas vers « la Grande Guérison ».
A

 

Comment êtes-vous devenue réalisatrice ?

 

AO : l’Office National du Film Canadien (ONF) m’a proposé un contrat de consultante sur un tournage après m’avoir aperçue dans un film ; car j’étais chanteuse et conteuse depuis l’âge de 16 ans. Ainsi ai-je débuté en 1967 avec une volonté d’intervention sur le système d’éducation destiné aux Autochtones. Ne connaissant rien au cinéma, débutant sur le tas et qui plus est Autochtone, cela a été difficile. Les « experts des Indiens » ne voyaient pas ma présence parmi eux d’un très bon œil. Mais ma lutte pour une forme nouvelle d’éducation me tenait tellement à cœur que j’ai tout enduré. J’ai envisagé les obstacles et conservé ma passion, car j’étais sûre de moi.

 

En effet, sur le tournage de la crise d’Oka, on vous voit filmer pendant des semaines sans manger ni dormir. Vous paraissez extrêmement déterminée !

 

AO : certainement ! Il est très important que nous documentions nous-mêmes nos histoires. Or, à l’époque, la télévision diffusait des informations incompréhensibles pour le public, qui avait une mauvaise opinion de la résistance des Indiens. Le racisme était aussi très présent. J’ai voulu transmettre « notre » réalité.

 

La rétrospective qui vous est consacrée au Moma de New York revient sur votre itinéraire de réalisatrice engagée. Quelle est aujourd’hui votre orientation ?

 

AO : j’ai toujours suivi l’actualité, prenant des décisions de réalisation en fonction. Mais en ce moment, je me consacre à des films avec et sur les enfants afin d’œuvrer pour l’orientation des jeunes. Je mène ma recherche au Canada, mon travail concernant essentiellement les Autochtones d’ici. Mes films sont projetés dans les universités canadiennes et nord-américaines.

 

Pourquoi avoir réalisé votre dernier film, Gene Boy, sur un vétéran autochtone qui retourne dans votre communauté, Odanak ? L’engagement militaire est-il toujours aussi important dans les communautés autochtones ?

 

AO : oui. Et à chaque guerre ! C’est pourquoi l’histoire de cet homme engagé au Vietnam me paraît importante, compte tenu du nombre de jeunes qui se font encore enrôler dans les guerres, dont l’Irak. Nous avons là l’exemple d’une décision rapide et de ses conséquences pour un soldat, s’il a la chance de revenir chez lui. Je souhaitais que les jeunes puissent entendre sa façon d’envisager les choses à son retour, et qu’ils apprennent.

 

Votre discours, lors de ce festival Présence Autochtone de Montréal, abordait justement le taux élevé de suicides chez les jeunes Autochtones. Est-ce toujours une réalité ?

 

AO : il y a eu des progrès dans certaines communautés, car plus de 40 000 jeunes vont à l’université, donnée très différente de l’époque où nous n’étions pas des citoyens canadiens, jusqu’en 1960. L’évolution est donc significative. Mais il faut rappeler que le Québec a été le dernier État à nous accorder le droit de vote, en 1969.

 

Le cinéma, le Wakiponi Mobile et autres médias visuels, peuvent-ils modifier l’image que les Autochtones ont d’eux-mêmes, et faire progresser le débat ?

 

AO : l’image est sans aucun doute un outil de guérison… partielle du moins. Aussi est-il déterminant que les jeunes aient accès à une caméra pour réaliser des documentaires qui les impliquent. Nous avons déjà constaté des changements importants dans les communautés où le Wakiponi Mobile existe. La réalisation d’un film est déterminante pour un toxicomane ou un alcoolique qui prend tout à coup conscience de l’obscurité dans laquelle les substances l’ont plongé. Cette initiative provoque un changement énorme. Au fur à mesure, l’image donne naissance à un discours responsabilisant qui les transforme.

 

L’outil cinématographique a donc une influence positive sur l’estime de soi ?

 

AO : tout à fait.

 

Quelles ont été vos inspirations cinématographiques ?

 

AO : ma seule influence vient des histoires de mon peuple, qui me fascinent toujours !

 

La ville de Montréal est multiculturelle. Quelle place les Amérindiens occupent-ils dans la société canadienne ?

 

AO : en ce moment, le pardon officiel du gouvernement a forcé les citoyens à prendre conscience des injustices dont nous avons été victimes, mais il a fallu du temps pour que ce déni prenne fin. Entre-temps, notre culture, notre langue et nos cérémonies nous ont été interdites !

 

En désignant les Autochtones comme des victimes, la déclaration publique du Premier ministre Stephen Harper ne vous paraît-elle pas contre-productive, car stigmatisante ?

 

AO : pas du tout. C’est une aide. Une reconnaissance qui ouvre enfin les yeux des Canadiens sur notre situation. Car ce débat si important a été caché pendant trop longtemps ! Et un trop grand nombre d’Autochtones ont perdu le respect de la vie. Avant que la « Grande Guérison » n’arrive, je serai morte. Mais je crois qu’un jour viendra où les Autochtones pourront enfin se reconnaître dans la Vie.

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