le 18 mai 2009 - 11h58

Fernando Meirelles

En 2002, le cinéaste brésilien Fernando Mereilles réalise La cité de Dieu, description hallucinée et violente de la survie dans les favelas de Rio, sous l’influence du Pixote de Hector Babenco. Suivront The Constant Gardener (2004) et aujourd’hui Blindness, adaptation du roman éponyme de l’écrivain communiste José Saramago.
Film catastrophe qui décrit le chaos dont s’empare une mégapole indéterminée suite à une épidémie de cécité, Blindness ressemble à une œuvre de Romero filmée par Innaritu. Des aveugles parqués dans des hôpitaux laissés à l’abandon, des groupes de survivants qui redécouvrent à-coups d’horreurs et de viols la loi du plus fort, le dernier film de Fernando Mereilles vaut moins pour son concept valise (nous sommes devenus aveugles) que pour son autopsie rigoureuse d’une humanité victime et responsable d’une descente aux enfers infernale. Rencontre.
A

 

Aviez-vous conscience, lorsque vous réalisez La cité de Dieu, de créer un genre, voire une formule -le film de favela-, qui allait devenir majoritaire dans la production du cinéma brésilien ?

 

FM Non, absolument pas. J’ai juste eu la chance d’avoir été le premier à réaliser ce que vous appelez « un film de favela ». Car le thème central -l’exclusion sociale dans les grandes villes- était devenu un sujet majeur au Brésil, obsessionnel, et n’importe qui aurait pu en faire la matière d’un film avant moi. Si La cité de Dieu a créé un genre, c’est aussi et surtout parce que le film a été un gros succès au box-office brésilien. Jusque-là, les producteurs affirmaient qu’un film parlant des favelas, des pauvres et des Noirs, n’intéresserait pas les spectateurs. Tous les cinéastes qui avaient tenté de traiter de ces sujets s’étaient heurtés à un mur. Le succès de La cité de Dieu a changé la donne. D’autres films sur les favelas sont possibles. La preuve récente a été apportée par Troupes d’élites, qui envisage la situation du point de vue de cette police d’élite qui travaille dans la favela, la Bope. Ce film a eu un succès considérable au Brésil, il a déclenché d’innombrables débats et discussions. Il a aussi divisé puisque la plupart des gens modestes sont pro-Bope et le capitaine Nascimento, qui dirige cette équipe musclée, est devenu un héros national. L’homme est violent, utilise des méthodes parfois limites, mais une grande partie des Brésiliens pensent que c’est l’unique moyen de résoudre le problème de la drogue et de la criminalité dans les favelas. D’autres considèrent la Bope comme une unité nuisible, au-dessus des lois, qui bénéficie d’une impunité que la corruption de la police brésilienne ne justifie pas.

 

Avec The Constant Gardener, vous tournez votre premier film en anglais avec des acteurs américains. Pourquoi ne pas avoir continué à faire vos films au Brésil ?

 

FM J’effectuais des repérages pour un film brésilien que je voulais tourner dans différents pays, lorsqu’un producteur canadien m’a proposé de réaliser The Constant Gardener. J’aimais déjà beaucoup le livre et j’avais déjà essayé d’en acheter les droits, en vain. J’ai donc saisi l’occasion. Mais je comprends votre question. Chaque année, je tourne des téléfilms ou des séries pour la télévision brésilienne avec des acteurs brésiliens parlant portugais. Mais le cinéma est plus facile à faire en anglais, pour des raisons économiques bien sûr. Au Brésil, un film brésilien tourné en portugais, si c’est un succès important, sera vu par 4 ou 5 millions de spectateurs au plus ! Les films en portugais se vendent très mal hors de nos frontières. Je tourne en ce moment une série télé qui, je l’espère, sera vue par 20 millions de personnes. D’où l’équilibre que j’essaie de maintenir : tourner au Brésil et en portugais pour la télévision, et faire des films en anglais pour le cinéma.

 

Blindness est-il pour vous un film d’anticipation ?

 

FM Je ne le considère pas comme un film de genre ou de science-fiction. Blindness n’est pas un film sur une maladie, il ne raconte pas l’histoire de personnages tentant de trouver un remède et de sauver le monde. Ce serait plutôt la version hollywoodienne de ce type de film. J’ai plutôt voulu utiliser la cécité comme un moyen de m’interroger sur la nature humaine, sur la façon dont les gens se comportent, sur la vitesse à laquelle la civilisation peut se désintégrer. Pour moi, c’est l’histoire d’une perte d’humanité et d’un petit groupe tentant de la reconquérir.

 

Aviez-vous des références ?

 

FM Oui, un documentaire intitulé Black Sound, réalisé il y a deux ans par un peintre indien d’une quarantaine d’années vivant à New York. Un jour, deux types sont entrés chez lui et ont aspergé son visage avec de l’acide. Il a perdu la vue et s’est mis à écrire un livre sur l’expérience de la cécité. Puis, il a réalisé un documentaire en tenant lui-même la caméra : il racontait en voix off ce qu’il sentait et filmait ce qu’il pensait voir à partir de ses sensations. C’est un film très poétique. Une grande partie des plans de Blindness, le découplage fréquent du son et de l’image, sont très inspirés par ce film.

 

Comment filmer des individus sans regard ? Ce fut sans doute un problème de mise en scène…

 

FM C’était même le problème central puisque l’essentiel de notre relation aux autres et au monde passe par les yeux. Comment faire des images avec ce qui, de fait, est invisible ? Je n’avais pas le regard des acteurs comme articulations classiques de la mise en scène, puisqu’en général, on passe d’un plan à un autre par le regard d’un personnage, par ce qu’il voit. Il y avait aussi le risque d’avoir des personnages froids, distants à l’image, car le regard permet au spectateur de s’identifier aux héros, de le faire entrer dans l’histoire. J’ai donc voulu rendre sensible l’environnement de l’aveugle, avec des effets de flous, des reflets, des à-plats blancs, des images déconstruites.

 

Dans The Constant Gardener, le récit d’espionnage était articulé à une réalité politique précise (l’exploitation de la population africaine par les grands labos pharmaceutiques…). Dans La cité de Dieu, il s’agissait de la réalité sociale des favelas de Rio. Dans Blindness, il n’y a plus que la métaphore, soit l’aveuglement des hommes. C’est la force du film puisque chacun interprète la cécité comme il veut, mais aussi sa limite, pour les mêmes raisons…

 

FM Ce fut en effet un énorme problème pour moi. Avec La cité de Dieu et The Constant Gardener, je parlais de choses qui existaient et en montrant les favelas, je renvoyais à une réalité précise, on pouvait taper sur Google « favelas », etc. Idem pour Gardener. Ici, c’est une ville générique, l’histoire ne se déroule pas dans un pays en particulier, les personnages n’ont pas de nom, pas de passé auquel on puisse vraiment se relier, et de surcroît, cette cécité n’existe pas et n’existera probablement jamais. Autrement dit, tout devait être inventé, ce qui rendait l’histoire difficile à raconter.

 

Dans le dossier de presse, il est écrit que la cécité c’est le tsunami, le 11 septembre, Katrina, bref, tous les maux du monde. N’avez-vous pas eu peur de verser dans la métaphore tout terrain, voire dans le « biblisme » commode ?

 

FM Le livre était un peu comme cela, archétypal, avec des personnages plus monolithiques qui n’évoluaient pas. J’ai tenté de brouiller les cartes et d’éviter la lecture biblique dont vous parlez. Je crois que Blindness parle de la façon dont le pouvoir est utilisé pour organiser la société. De ce point de vue, c’est un drame politique. Au fond, le film oppose un leader démocratique, joué par Mark Ruffalo, à un leader autoritaire, tyrannique, celui du dortoir N°3. Soit deux façons différentes de s’occuper du leadership et du pouvoir.

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